Lorsque François Fillon se présente devant les journalistes le 11 janvier à Cannes, son assurance impressionne. «Chacun pense ce qu’il veut. Moi, je trace ma route. C’est moi qui suis candidat à la présidentielle.» Tout le monde a compris. Le vainqueur de la primaire de la droite tance les rebelles des Républicains (LR). Beaucoup d’élus de son parti l’assiègent pour lui dire d’amender son programme. Les Français, disent-ils, n’accepteront jamais les coupes drastiques dans la fonction publique et une sécurité sociale démantelée. Problème: ces fantassins de la droite, pour la plupart sarkozystes, réclament surtout… des circonscriptions. Le candidat corrige donc le tir programmatique. Mais pas touche aux investitures. «Avoir réussi à mettre le parti au pas quand on se souvient de l’hostilité à son égard… on était bluffé», se souvient un collaborateur direct de Patrick Stefanini, son directeur de campagne.

Stefanini. C’est vers lui, aujourd’hui, que tous les fillonistes se tournent avec rancœur. Implacable volte-face. Lorsque l’ancien premier ministre a remporté haut la main, en novembre 2016, le duel de la primaire face à Alain Juppé, cet ancien préfet aux fines lunettes, tête d’intellectuel débonnaire et mental d’impitoyable organisateur, faisait l’admiration de tous. Un mois plus tôt, sa démission de la direction de la région Ile de France avait tout de suite rimé avec le décollage de la fusée Fillon. Dans les bureaux de campagne, au coin du boulevard Saint-Germain et de l’Assemblée nationale, rien ne semblait lui résister. Oublié, Fillon le mal aimé. Place au «présidentiable», héraut d’une droite morale, catholique, libérale et décomplexée.

«Après Noël, on planait…»

Impossible, ensuite, d’arrêter la machine. Une victoire incontestable à la primaire, avec plus de 66% des voix. Un transfert du QG de campagne vers la porte de Versailles, près de celui d’Emmanuel Macron: 1500 m2 contre 250. Un QG qui, début janvier, accouche de son premier bébé: le livret Pour vous, résumé de la thérapie de choc proposée pour l’Hexagone. «Après Noël, les sondages étaient au beau fixe. On planait», reconnait-on dans ces locaux où la déprime plane aujourd’hui. Une phrase manuscrite du candidat démarre le livret. Encre noire. Petites lettres. «Au fil de nos rencontres, vous m’avez dit vos doutes, vos interrogations, vos angoisses…» «La présidentielle, c’est la rencontre entre un homme et le peuple. François a compris les Français. Et vice versa», nous assurait l’an dernier son fidèle lieutenant, le député Jérôme Chartier, en marge des «Entretiens» de l’Abbaye de Royaumont.

Comment, alors, cela a-t-il été possible? Le 25 janvier, le Canard enchaîné révèle les salaires de Pénélope Fillon à hauteur de 500 000 euros. Stupeur au QG. Questions. Patrick Stefanini renâcle. Lui-même n’a-t-il pas été, dans le passé, condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris? «Il n’a pas fait son boulot. Point. Il aurait dû déshabiller le candidat. Tout savoir. Le noir, le gris, le blanc», s’étonne une journaliste des Echos.

D’autres voix déplorent l’impréparation du «team» Fillon. L’influente communicante Anne Méaux, qui démarra en politique sous Giscard, se laisse déborder par les médias sociaux. Autre époque. La première réunion de crise est presque normale. Le candidat n’interrompt pas ses rendez-vous. «C’est un élu vieille école, souligne une jeune parlementaire LR. Il a pensé que ça se tasserait parce qu’au parlement, tout le monde fait ça.»

Plaies rouvertes

Raté. Les mœurs changent. Le scandale Cahuzac est passé par là. Internet dope la soif de transparence. A l’Assemblée nationale, la presse assaille la questure, qui gère l’intendance. En quelques heures, tout est su: Pénélope n’y avait pas de badge, pas de bureau, pas d’amis. Colère contre les «balances». Un nom circule vite: celui de Rachida Dati, l’ex-Garde des Sceaux à qui François Fillon a refusé un futur siège de député. Les fillonistes l’affublent d’un surnom vengeur: «Rachida Data.» Les plaies de la droite sont rouvertes.

L’homme Fillon, surtout, est passé au crible. Caroline Morard, sa fidèle attachée de presse qui l’avait accompagné à Lausanne en mai 2016, est ébranlée. Les vieilles accusations remontent à la surface. François Fillon a toujours été considéré par le Canard comme très gourmand sur le plan financier. Les images d'«Ambition intime», l’émission people de M6 qui avait propulsé sur le devant de la scène Pénélope Fillon et l’une des filles du couple, repassent en boucle. François Fillon est-il cet homme affable, rassurant, déterminé qui a séduit 4 millions d’électeurs? Ou ce hobereau de Sablé sur Sarthe en son manoir? Un conservateur proche du peuple ou un profiteur de la République? Difficile d’être encore audible.

Dimanche 29 janvier, lors de son grand meeting à Paris, ses partisans nous interpellent. Comme lui, tous accusent la presse. Mais beaucoup sont sonnés. «L’image était sa meilleure carte. Un homme propre. Courageux. Pas bling bling. Sérieux», regrette Mireille, épouse d’un notaire lyonnais. Le présidentiable, lui, ne parle que par interviews interposées. Il menace, hésite. Pas de consignes claires, sauf celle d’attendre deux semaines. En espérant que l’enquête sera d’ici là bouclée et que les poursuites seront abandonnées. Une note de son équipe propose de tout rembourser. Soit un million d’euros. Pas de réponse. L’agenda des prochains meetings – Ardennes ce jeudi soir, Liban, Irak prévu ces prochains jours, puis annulés – est un champ de mines. «Fillon est bon dans la vitesse quand il conduit un bolide en ligne droite. Ce n’est pas un pilote de rallye», se risque un proche. La panne dans les sondages inquiète. La sortie de route n’est plus exclue.