France
Les compétences, le redécoupage, les pouvoirs réels des régions françaises nourrissent les divisions et les frustrations. Le Front National en a fait son principal angle d’attaque

En Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Marion Maréchal-Le Pen aime marteler cet argument: voter Front national ce dimanche reviendra, d’abord, à sanctionner les gaspillages et à en finir avec les dérives d’une région trop prompte à dépenser son budget annuel de 4 milliards d’euros. «Subventions associatives, budget des transports ferroviaires régionaux, gestion du Fonds régional d’art contemporain… nous passerons tout au crible», promet la députée de 26 ans, tête de liste du Front national (FN). Comme sa tante Marine Le Pen, qui espère emporter la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, l’élue a promis de procéder d’urgence à «un grand audit des comptes de la région» si elle en empoche la présidence après le second tour du scrutin, le 13 décembre. Une promesse populiste de plus pour le FN. Mais, «il y a bien un malaise entre les Français et les régions» confirmait récemment au Temps le sénateur centriste alsacien Jean-Marie Bockel: «Leur crédibilité est à des années-lumière de nos voisins, les Länder allemands.»
La mauvaise réputation des régions françaises vient de ce qu’elles ne sont toujours pas considérées comme un échelon naturel de pouvoir et de compétences, dans un pays jacobin où l’Etat est par définition national, et où l’histoire a validé deux niveaux administratifs: les départements et les communes, créés sous la révolution puis confirmés presque dans leur forme actuelle par Napoléon. A l’inverse, les régions sont des entités jeunes et turbulentes. Créées en 1963 par le général de Gaulle, elles sont d’abord rejetées comme entités politiques à l’issue du référendum de 1969. Les revoici ensuite en 1982 au nombre de 22, dans la grande loi de décentralisation portée par la gauche, mais il faudra attendre 2004 pour qu’elles soient reconnues par la Constitution. Problème: l’empilement des strates bureaucratiques a fini par accoucher d’une usine à gaz, au point d’amener leur redécoupage fin 2014. Les 22 régions historiques, qui commençaient à s’ancrer dans les terroirs et les habitudes, ont été alors regroupées en 13 «grandes régions» sans cohérence, obligeant par exemple à l’est la très sourcilleuse Alsace à s’allier avec la Lorraine et la Champagne-Ardennes, tandis qu’à l’ouest, la Bretagne reste seule. L’abcès demeure.
L’autre problème des régions françaises est politique. Sur le papier, celles-ci sont des acteurs socio-économiques de poids, puisqu’elles gèrent une partie des chemins de fer, les lycées, les équipements sportifs, les ports et voies d’eau et la formation professionnelle, et que leurs budgets se chiffrent en milliards d’euros (1/4 des collectivités locales). Mieux: les lois successives sur le non-cumul des mandats ont dopé le lustre politique des conseils régionaux, au sein desquels des personnalités d’envergure nationale choisissent parfois de se réinventer, comme l’a fait Ségolène Royal entre 2004 et 2012, à la tête de la région Poitou-Charentes. Sauf que la réalité du pouvoir hexagonal n’a, elle, guère changé. Lorsqu’en 2010 la gauche rafle 21 régions sur 22, sa capacité d’obstruction reste très faible, face à une assemblée nationale alors acquise à Nicolas Sarkozy. D’où la tendance de certains élus à transformer leurs régions en fiefs bureaucratiques, repliés sur eux-mêmes et dominés par un clanisme quasi féodal, via le contrôle de l’embauche dans la fonction publique territoriale ou celui des imposants marchés publics. La justice a plusieurs fois sanctionné les dérives de régions comme PACA ou l’Ile-de-France.
Le Front national peut-il profiter de cette situation? Trois éléments l’avantagent en tout cas, au-delà du contexte national post-attentats. Le premier est le scrutin à la proportionnelle intégrale d’abord, doublé d’un système de primes qui permet à la liste victorieuse de rafler la majorité des sièges même si elle n’atteint pas 50% des suffrages. Le second est la «virginité» régionale du FN, qui lui permet à la fois de ne pas avoir de bilan à défendre, tout en surfant sur sa récente implantation locale, acquise lors des municipales de 2014 et des départementales de 2015. Dernier élément: les crispations identitaires engendrées par le redécoupage trop rapide de la fin 2014, particulièrement dans les régions contraintes de fusionner, comme la Franche-Comté (avec la Bourgogne), l’Alsace ou le Nord (avec la Picardie).