La pression s’accentue sur Pyongyang. Jeudi dernier, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution permettant de créer une commission d’enquête sur les violations perpétrées par le régime nord-coréen. La décision tombe alors que le dirigeant Kim Jong-un multiplie les gestes belliqueux. Après un tir de fusée réussi en décembre, considéré par les Etats-Unis et la Corée du Sud comme un essai de missile balistique, la Corée du Nord a procédé à un test nucléaire en février, conduisant à de nouvelles sanctions de l’ONU. Entretien avec Marzuki Darusman, avocat à Djakarta, rapporteur spécial de l’ONU pour la Corée du Nord, qui enquête sur les crimes du régime depuis 2010 et poursuivra son travail au sein de la nouvelle commission.

Le Temps: Que signifie la création de cette commission d’enquête?

Marzuki Darusman: C’est un développement décisif, après des années sans progrès caractérisées par le déni et la confrontation au sein du Conseil des droits de l’homme. Cette fois, la résolution a été acceptée par consensus, sans objection ni abstention de la part des alliés traditionnels de Pyongyang. Pas même de la Chine. C’est le signe d’une plus grande détermination de la communauté internationale.

– Comment expliquez-vous cette nouvelle détermination?

– Nous abordons la question des violations des droits de l’homme en Corée du Nord depuis des années. Nous avons récolté un volume massif de témoignages de personnes qui ont fui le pays, qui nous ont permis de formuler des allégations sérieuses de crimes contre l’humanité. Je crois que la communauté internationale comprend de mieux en mieux ce qui se passe en Corée du Nord et signale désormais à ses dirigeants que le déni et les délais ne seront plus acceptés.

– Quelle sera la tâche de cette commission?

– Elle prendra comme point de départ les nombreux rapports compilés ces dernières années par l’ONU et les ONG internationales pour déterminer si nos soupçons sont sérieux. Dans mon dernier rapport en mars, j’ai identifié neuf types de violations des droits de l’homme courants en Corée du Nord. C’est un point de départ.

– Pourrez-vous entrer dans le pays?

– Il faudrait pour cela une autorisation, or je ne m’attends pas à ce que la Corée du Nord, qui n’a jamais cessé de nier toute allégation, reconnaisse mon mandat. L’interdiction d’entrer dans le pays ne devrait toutefois pas entraver le travail de la commission. Avec les témoignages de ceux qui ont fui le pays ces quinze dernières années, nous disposons de suffisamment de sources crédibles.

– Qu’est-ce que cette commission pourra apporter de plus que les rapports déjà existants?

– Le travail qu’elle effectuera sera plus efficace car elle disposera de plus de ressources. Et, au moment d’exprimer ses recommandations devant le Conseil, elle bénéficiera d’un poids supérieur. La commission devra aussi déterminer des responsabilités institutionnelles et personnelles dans les crimes rapportés. Elle permettra au Conseil des droits de l’homme de déterminer si le droit international a été violé et ouvre la porte à une action légale. Un recours à la Cour pénale internationale n’est pas exclu.

– Les conditions en Corée du Nord se sont-elles détériorées depuis que Kim Jong-un est au pouvoir?

– Moins de personnes passent les frontières. C’est le signe d’une plus grande vigilance de la part du gouvernement nord-coréen, ce qui laisse craindre une détérioration des droits de l’homme.

– Que savez-vous de la structure du pouvoir à l’intérieur du pays?

– Il semble que le pouvoir est centralisé entre les mains d’une seule personne, le dirigeant. C’était ainsi depuis soixante ans et cela continue sous Kim Jong-un. La priorité de la Corée du Nord est d’augmenter ses capacités militaires, au détriment de sa capacité à nourrir la population. En parallèle, le régime a mis en place un système d’apartheid qui fonctionne sur la discrimination, la restriction et la répression de la majorité de la population. Plus le temps passe, plus les conditions de vie se détériorent et le risque d’actions militaires croît.