Après le temps de la conciliation, celui de la discipline. Venu faire le point devant la presse ce vendredi sur l’état d’avancement des négociations climatiques au parc des expositions du Bourget, Laurent Fabius a mis sans nuances la pression sur le millier de délégués et de diplomates affairés, depuis mardi, à corriger le préaccord rendu public à la fin octobre par la Convention cadre de l’ONU sur le changement climatique (UNFCCC). «Le texte sur lequel les ministres devront travailler sera rendu samedi à la mi-journée comme prévu», a répété le ministre français des Affaires étrangères, élu à la présidence de la COP21 dès l’ouverture de celle-ci lundi matin, par 150 chefs d’Etat ou de gouvernement.

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Pas question donc, pour l’heure, de commencer à prendre du retard. Entamées mardi, les discussions au sein des groupes thématiques et régionaux placés sous l’égide de l’UNFCC ne gagneraient rien à se prolonger selon l’entourage de Laurent Fabius. Lequel s’apprête, samedi, à recevoir deux textes du groupe ADP chargé des négociations «techniques», co-présidé par l’Américain Daniel Reifsnyder et l’algérien Ahmed Djoghlaf.

Le scénario des «prolongations dramatiques»

Le premier texte, long de 48 pages, compile l’ensemble des articles proposés jusque-là par les 196 parties en vue d’un accord. Il servira de référence aux discussions ministérielles car il contient, en somme, l’ensemble des positions défendues par les uns et les autres. Le second texte, fort de 38 pages, contient lui une centaine de propositions de compromis (Bridging proposals), que les Etats pourront maintenant accepter, ou contester.

Beaucoup de gouvernements voudront démontrer à leurs opinions publiques qu’il se sont battus comme des diables.

C’est autour de ce second document que les négociations futures vont se focaliser. Elles démarreront dimanche, au niveau ministériel, et doivent en théorie se conclure au plus tard mercredi 9 décembre, pour permettre ensuite les consultations juridiques, et les traductions dans les différentes langues des Nations Unies (au moins l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe, le russe et le chinois). Il est toutefois très probable, affirment les négociateurs, que ce calendrier soit bouleversé. «Beaucoup de gouvernements voudront démontrer à leurs opinions publiques qu’il se sont battus comme des diables, note un activiste de Greenpeace. Pour eux, le meilleur scénario est donc celui des prolongations dramatiques».

Le défi d'un accord contraignant

A partir de la réception de ces deux documents, l’enjeu de la seconde semaine de la COP21 sera double. Le premier défi consistera, au niveau politique, à s’entendre sur des curseurs symboliques, comme la référence à un niveau de température maximal à atteindre à la fin du siècle (1,5 degrés pour les plus volontaires, 2 degrés pour les partisans d’un accord capable de marquer un tournant, plus de 3 degrés selon les contributions nationales actuelles), les modalités de la différenciation (exigences différentes pour les pays développés et en voie de développement), le niveau des financements requis entre 2020 (date de la mise en œuvre d’un éventuel accord) et 2050.

Le deuxième défi consistera, une fois ces marqueurs acceptés, à rendre cet accord «juridiquement contraignant «comme le veut la France, tout en restant facile à comprendre pour la société civile, dont les représentants veillent au grain. Plus de 10 000 activistes ont été accrédités et sont présents au Bourget, répartis dans les différents espaces «Génération Climat» ou «Génération Solutions». Chaque dérapage est dès lors très vite commenté.

Le combat des îles du Pacifique

Du côté politique, Laurent Fabius se refuse encore à donner des détails sur les positions des uns et des autres. On sait par exemple, depuis l’intervention lundi soir du premier ministre Narendra Modi, que l’Inde va se battre pour que les énergies fossiles continuent d’avoir droit de cité, compte tenu de ses énormes besoins énergétiques. Un groupe, néanmoins, s’est fait remarquer depuis le début de la COP21 par ses positions virulentes: celui des petits états insulaires du Pacifique, pour qui le réchauffement climatique doit être impérativement plafonné à 1,5 degré, car leur survie en dépend. Le président de Tuvalu, qui s’exprimait jeudi, a ébranlé l’assistance en montrant une vidéo-fiction de son pays submergé par les eaux.

Or la France, puissance du Pacifique avec la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, se doit de défendre leurs positions. Il est dès lors probable, affirment des négociateurs, que le chiffre de 1,5 degrés figurera bien dans le document final. Le niveau des financements débloqués par le Fonds vert de l’ONU pour le climat entre 2015 et 2020 pour financer des projets d’adaptation sera aussi une variable déterminante.

Faire enfin la différence 

Avant de se lancer dans la négociation politique, Laurent Fabius capitalise sur les soutiens publics. Il sera ce vendredi soir à l’Hôtel de ville de Paris pour conclure le sommet des villes sur le climat, puis recevra samedi au Bourget des personnalités engagées telles que l’acteur américain Sean Penn ou le milliardaire chinois Jack Ma.

«Tout est lié, tout se tient. On ne peut pas faire avancer un point de l’accord sans un autre», a justement rappelé Christiana Figuerres, de l’UNFCCC. La question étant désormais de savoir si, au delà d’une communication particulièrement réussie jusque-là, cette COP21 peut enfin faire la différence.