La COP26 remet les décisions douloureuses à plus tard
Analyse
AbonnéLes négociateurs ont accouché samedi soir d’un «pacte de Glasgow» censé limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Mais ce texte ne suffira pas à atteindre cet objectif vital. L’appel à l’aide des pays les plus vulnérables au réchauffement n’a pas été entendu

Tout un symbole. La conférence des Etats parties à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique à Glasgow s’est achevée, samedi soir, sur une ultime reculade. Après deux semaines de négociations harassantes, les délégués de près de 200 Etats voyaient enfin le bout du tunnel après la prolongation des discussions au-delà de l’échéance de vendredi et après plusieurs courtes nuits pour arracher un compromis. Alors que les délégués pensaient toucher au but, l’Inde a introduit un amendement de dernière minute sur la question cruciale des énergies fossiles.
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Pour la première fois, le charbon, le pétrole ou le gaz étaient placés à juste titre sur le banc des accusés malgré la résistance des grands pays producteurs et des lobbyistes de ces industries présents en force à Glasgow. Cette question illustre le changement de paradigme en train de s’opérer au sein de la communauté internationale. La nécessité d’une transition énergétique fait son chemin, mais celui-ci est tortueux, a regretté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui n’a pas ménagé ses efforts pour aiguillonner les Etats. «La catastrophe climatique frappe toujours à la porte», a-t-il mis en garde, sous-entendant que les engagements pris à Glasgow sont insuffisants pour limiter la hausse des températures à 1,5 degré.
The #COP26 outcome is a compromise, reflecting the interests, contradictions & state of political will in the world today.
— António Guterres (@antonioguterres) November 13, 2021
It's an important step, but it's not enough.
It's time to go into emergency mode.
The climate battle is the fight of our lives & that fight must be won. pic.twitter.com/NluZWgOJ9p
Profitant de la lassitude des délégués des autres pays, l’Inde est parvenue à changer le texte de la décision finale, pompeusement rebaptisée «pacte climatique de Glasgow». Le délégué de New Delhi a imposé la formulation de réduction du recours au charbon, plutôt que son abandon. Un peu plus tôt, le géant asiatique avait plaidé pour une utilisation «responsable» des énergies fossiles, afin de préserver son droit au développement.
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La Suisse, par la voix de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, a été la première à exprimer sa colère face à cette manœuvre, rejointe par l’Union européenne, le Mexique ou des îles particulièrement menacées par le réchauffement climatique et la montée des océans. Le président de la COP26, le Britannique Alok Sharma, a présenté ses excuses pour cette prise en otage.
Les Etats-Unis, représentés par l’envoyé spécial pour le climat, John Kerry, n’ont pipé mot. Et, au final, aucun des pays en colère n’a osé remettre en cause tout le compromis pour s’opposer à la manœuvre indienne. «Le seul pire résultat que ce compromis serait l’absence d’accord tout court», a estimé le délégué de la Nouvelle-Zélande, résumant les nombreuses frustrations sur le texte final de Glasgow. «Un signal important a été donné pour l’abandon du charbon», a toutefois positivé la directrice de Greenpeace, Jennifer Morgan.
Calendrier plus serré
Parmi les rares avancées obtenues ces deux dernières semaines figure l’obligation imposée à tous les Etats de rehausser leurs ambitions de réduction des gaz à effet de serre dès l’année prochaine, alors que l’Accord de Paris fixait une révision des objectifs tous les cinq ans. Ce calendrier beaucoup plus serré montre que l’urgence de la crise climatique est de plus en plus admise par les pays du monde entier, même s’il y a la possibilité de dérogations. Les ONG s’inquiètent aussi des trous laissés dans le système de compensation carbone, dans lesquels pourraient s’engouffrer les Etats et les entreprises, ou les insuffisances du système de reporting des émissions de gaz à effet de serre.
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De toute évidence, le «pacte de Glasgow» ne permettra pas à lui seul de limiter l’élévation des températures à 1,5 degré. En marge des négociations, plusieurs coalitions ont été lancées. Les plus prometteuses sont celles contre la déforestation, pour limiter les émissions de méthane ou l’appui européen pour aider à la transition énergétique de l’Afrique du Sud. Le suivi exigeant de ces initiatives sera décisif.
Le retour de la Chine
Malgré l’absence de Xi Jinping à Glasgow, la COP26 aura aussi été le théâtre du retour de la Chine au cœur des négociations climatiques, conjugué à celui des Etats-Unis, après la présidence de Donald Trump qui s’était retiré de l’Accord de Paris. La participation des deux premiers émetteurs de gaz à effet de serre mondiaux est une condition indispensable pour une action climatique crédible. Mais ce début d’entente, concrétisé par une déclaration surprise à quelques jours de la fin de la COP26, n’a pas produit d’effets tangibles sur le résultat des négociations.
La Chine, qui se fait la porte-parole des pays en voie de développement, et les Etats-Unis ne sont pas parvenus à forger un consensus sur les questions de financement, qui deviennent de plus en plus urgentes étant donné que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter.
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Glasgow aura vu très peu de progrès sur la question centrale des 100 milliards de dollars par an promis par les pays riches à partir de 2020 mais qui ne se sont toujours pas concrétisés. A défaut, les pays les plus vulnérables ont tenté en vain de pousser à la création d’un mécanisme de dédommagement pour compenser les «pertes et dommages» effectifs causés par le réchauffement qui augmentent d’année en année. Mais ils se sont heurtés à l’intransigeance des pays développés: Etats-Unis et Union européenne en tête. Les pays développés, qui portent une responsabilité historique dans le réchauffement, craignent d’être un jour traînés en justice.
Les pays pauvres repartent les mains vides
Les pays insulaires et les plus vulnérables ont de quoi repartir de Glasgow frustrés, même s’ils n’ont pas osé s’opposer au consensus et risquer un échec de la conférence. «Pour certains pays, la question des pertes et dommages est le début d’un dialogue. Pour nous, c’est une question de vie ou de mort», a réagi la ministre de l’Environnement des Maldives, Shauna Aminath.
Les résultats de la conférence de Glasgow reflètent «les priorités du monde riche», dénonce Mohamed Adow, directeur du think tank PowerShift Africa. «Non seulement les pays développés ne tiennent pas leurs promesses sur les 100 milliards mais ils ne réalisent pas l’urgence de ce soutien financier.» La société civile a dénoncé tout au long de la COP26 ses difficultés pour se rendre à Glasgow, s’y loger et accéder aux discussions. Les ONG et les délégués du Sud espèrent avoir plus de poids lors des prochaines COP: en Egypte en 2022 et aux Emirats arabes unis l’année suivante, même si ces deux Etats sont très peu démocratiques.
Du côté des jeunes qui, depuis quelques années, descendent dans la rue pour réveiller leurs gouvernants, l’emblématique Greta Thunberg a résumé sur Twitter ainsi le sommet de Glasgow: «Bla, bla, bla.» L’Ougandaise Vanessa Nakate est plus nuancée: «Même si les dirigeants du monde tiennent les promesses faites à Glasgow, cela n’empêchera pas la destruction de communautés comme la mienne. Même avec 1,2 degré de plus, les sécheresses et les inondations tuent déjà en Ouganda. Nos dirigeants n’ont pas su s’élever à la hauteur de ces enjeux mais la pression populaire augmente.» Les résultats décevants de cette COP26, comparés aux immenses dangers du réchauffement, vont-ils relancer les manifestations pour le climat?