Vendredi, à l’aube, l’armée tunisienne a lancé l’assaut dans les monts Chaambi. Des unités d’artillerie et d’aviation ont été déployées dans ces petites montagnes à cheval sur la frontière algérienne. Elles ont tiré à l’arme lourde et largué plusieurs bombes.

«Le groupe de Chaambi est enfin encerclé», triomphe le colonel Mohamed Ali Laroui, porte-parole du Ministère de l’intérieur. «Les opérations vont se poursuivre jusqu’à son éradication», a précisé celui de l’armée, Taoufik Rahmouni. Pour l’heure, aucun de ces maquisards n’a été arrêté ou tué. Voilà plusieurs mois que les forces de sécurité sont mises en échec par un petit groupe de djihadistes armés, baptisé «brigade d’Oqba Ibn Nafaa». Composée selon les autorités de plusieurs dizaines d’Algériens et de Tunisiens, parmi lesquels des vétérans du Mali, elle serait liée à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Certains de ses membres auraient aussi participé aux activités d’Ansar al-charia. La principale mouvance djihadiste tunisienne, qui compte des milliers de jeunes sympathisants, affiche une stratégie basée sur la prédication et rejette son implication dans les violences.

Hommage aux «martyrs»

Inédite par son ampleur et sa nature, cette opération militaire intervient quatre jours après la mort de huit soldats, dans ces mêmes montagnes. Lundi soir, une unité de l’armée est tombée dans une embuscade. Les militaires ont essuyé une rafale de tirs, avant d’être dépouillé de leurs armes et de leurs uniformes. Cinq d’entre eux ont été égorgés et mutilés post-mortem. L’attaque a choqué les Tunisiens, déjà secoués par le meurtre du député d’opposition Mohamed Brahmi, deuxième assassinat politique en six mois, attribué à un même groupuscule djihadiste.

«On a pleuré toute la nuit, toute la famille. Ces soldats étaient tous jeunes, l’un avait une fille de 2 mois, l’autre allait se marier. Ils les ont tués comme des chiens», souffle Moufida, une mère venue, mardi soir, participer à l’hommage populaire aux «martyrs», place de la Kasbah, face au palais du gouvernement, à Tunis. «On n’a jamais vu ça. La Tunisie allait bien, on vivait en paix. Je ne comprends pas comment on en est arrivé là.»

Pour les milliers de manifestants qui, chaque soir depuis l’enterrement de Brahmi, se réunissent devant l’Assemblée nationale constituante pour demander la chute du gouvernement, la réponse est claire: les islamistes au pouvoir portent une grande partie de la responsabilité. «Ils ont été trop nonchalants envers les phalanges extrémistes», estime ainsi Adnen.

Contesté de toutes parts, le premier ministre Ali Larayedh répète sa volonté ferme de combattre le terrorisme, mis sur le compte du contexte régional. «Il est urgent d’assainir un climat politique asphyxiant, qui fragilise l’Etat et ouvre la possibilité à de tels actes, juge pour sa part Haykel Ben Mahfoudh, expert des questions de sécurité régionale. Ils visent l’Etat et ses représentants, profitent des moments de crise pour frapper. C’est un acte de défiance.»

«Avec Chaambi, estime aussi l’universitaire, on a passé un palier supplémentaire. Le terrorisme n’est plus une menace sporadique, comme ces dix dernières années.» Dans son discours, juste après la mort des huit soldats, le président Marzouki a lui-même prévenu que «le pays risque d’être contraint à de nouveaux sacrifices et à faire face à de grands défis, avec peut-être d’autres victimes». «L’institution sécuritaire est prise pour cible», a souligné le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, qui a quasiment fait aveu d’impuissance: «Nous avons une liste de politiciens, journalistes, intellectuels [ndlr: menacés], mais nous n’avons pas les moyens de protéger tout le monde. Ceux qui veulent assassiner arrivent à le faire.» Il a ajouté avoir des informations selon lesquelles «un membre du gouvernement serait visé par une ceinture explosive».

Autre source d’inquiétude: deux bombes artisanales ont visé, ces derniers jours, les forces de l’ordre. Non plus seulement dans les montagnes de Chaambi, comme les mines qui ont déjà blessé une dizaine d’agents et tué deux d’entre eux. Mais dans les zones habitées: la première a été découverte sous une voiture, devant le poste de gendarmerie de la Goulette, dans la banlieue de Tunis, au matin des funérailles de Mohamed Brahmi. La seconde, mardi, a explosé au passage d’une patrouille. Aucune n’a fait de graves dégâts, ce qui laisse à penser à des auteurs «nouvellement initiés, qui font là leur apprentissage», estime Haykel Ben Mahfoudh. Hier, un jeune «extrémiste» a été arrêté après avoir eu la main arrachée, alors qu’il manipulait des matières explosives dans sa maison. Un autre est décédé, près de Tunis, dans les mêmes circonstances.