«Je vendrai chèrement ma peau.» Fragilisé par les révélations concernant sa vie privée, les critiques de l’opposition et les perplexités de ses alliés politiques, Silvio Berlusconi n’entend pas jeter l’éponge. En coulisses, il a prévenu ses collaborateurs qu’il est prêt à mener bataille jusqu’au bout. Hier, inaugurant le Salon de la moto à Milan, il s’est dit convaincu que son gouvernement «dispose d’une majorité et ira de l’avant jusqu’à la fin de la législature» en 2013.

Agé de 74 ans, le tout-puissant patron de la droite depuis le milieu des années 90, n’a pourtant jamais paru aussi affaibli. Déjà tombé à 34% d’opinions favorables le mois dernier, Silvio Berlusconi se retrouve aujourd’hui empêtré dans le «Rubygate», du nom de cette jeune fille marocaine qui a affirmé avoir assisté à des fêtes privées et érotiques dans la villa privée du chef du gouvernement. En mai dernier, celui-ci serait même directement intervenu auprès de policiers milanais qui avaient arrêté la mineure pour vol, en téléphonant à la préfecture et en demandant à ce qu’elle soit relâchée au motif qu’elle serait parente «du président Moubarak». Tout en assurant ne pas avoir fait référence au chef d’Etat égyptien, Silvio Berlusconi a admis être l’auteur de l’intervention. «Je suis un homme de cœur et j’aide qui est dans le besoin», a-t-il tenté de justifier.

Reste que les magistrats milanais tentent de vérifier s’il y a eu abus de pouvoir et l’entourage du président du Conseil commence sérieusement à s’inquiéter des répercussions politiques de l’étalage de sa vie privée. L’an passé, le Cavaliere avait supporté sans trop d’encombres le scandale de la jeune Napolitaine Noemi qui l’appelait «papounet» ou encore les récits de l’escort girl Patrizia D’Addario qui avait passé une nuit dans le lit du chef du gouvernement. Son épouse Veronica Lario avait certes demandé le divorce, mais Silvio Berlusconi avait payé un prix politique minimal. «Les affaires privées de Berlusconi n’intéressent pas beaucoup ses électeurs», rappelait à l’époque le politologue Gianfranco Pasquino «personne n’a voté pour lui en pensant que c’était un homme d’une grande moralité. On sait aussi qu’il aime beaucoup les femmes».

Aussi, Silvio Berlusconi tente aujourd’hui comme l’an dernier, de désamorcer le scandale en proclamant: «Je suis une personne joyeuse, j’aime la vie et les femmes. Je mène une vie terrible. Et si de temps en temps j’ai besoin d’une soirée pour me détendre, personne ne me fera changer de style de vie.» Hier, il a même cherché à déplacer le terrain de la polémique en lançant: «Mieux vaut apprécier les jeunes filles qu’être gay.» Convaincu que comme par le passé, il parviendra à se relever d’attaques frontales. La dernière affaire semble toutefois renforcer le sentiment de paralysie qui entoure l’action du gouvernement et épaissit le parfum de fin de règne qui enveloppe le Cavaliere.

Car le «Rubygate» n’a provoqué que des réactions sévères du côté de l’opposition de gauche. L’Eglise catholique fait aussi part de sa lassitude devant les frasques répétées du chef du gou­vernement. «C’est un homme ­malade», attaque l’hebdomadaire Famiglia Cristiana. Quant aux milieux d’affaires, ils n’hésitent plus à exprimer leur agacement. «Le pays est en proie à la paralysie. La politique doit retrouver le sens de la dignité», a plaidé la patronne des patrons, Emma Marcegaglia. Nombre d’éditorialistes de la Péninsule vont jusqu’à estimer, comme le quotidien La Stampa, que «dé­sormais Berlusconi est cuit». «Cette fois, la crise apparaît irréversible», écrit aussi Gianfranco Pasquino qui note que ses électeurs pourraient lui reprocher non pas sa vie dissolue mais le contraste entre celle-ci et l’inaction de l’exécutif: «les propos d’Emma Marcegaglia marquent la fin du rapport de collaboration avec un gouvernement qui ne fait pas grand-chose, au point que l’Italie a le plus bas taux de ­croissance d’Europe.» Dans ce contexte, les scandales pourraient-ils servir de déclencheur? Le président de la Chambre des députés Gianfranco Fini, qui a quitté le Pdl cet été, a en tout cas jugé que «l’affaire est embarrassante» pour l’image du pays et évoqué «un pas en arrière» de ­Silvio Berlusconi. Aors que les voix de ses partisans sont déterminantes au parlement, Fini n’a toutefois pas encore pris le risque de lâcher définitivement Berlusconi. «Qu’il nous soutienne ou qu’il ait le courage d’ouvrir une crise politique», ont répliqué lundi les collaborateurs du Cavaliere, convaincus qu’aucun parti n’a pour l’heure intérêt à provoquer des élections législatives anticipées. «Le problème c’est que ses fidèles ne le lâchent pas», estime l’ancien maire (centre gauche) de Venise Massimo Cacciari qui laisse entendre que le déclin pourrait alors se prolonger. A moins que ce dernier ne reprenne spectaculairement l’initiative. La presse italienne évoque notamment, parmi d’autres hypothèses, l’entrée sur la scène politique de Marina Berlusconi, sa fille aînée.