L'une des dernières ONG étrangères - la dernière? - encore en Somalie, Médecins sans frontières (MSF), appelle à une mobilisation immédiate pour «prévenir un désastre humanitaire majeur». De retour de Somalie où il dirige les opérations de MSF-Suisse, Huub Verhagen témoigne: «La situation va empirer. Il n'y a pas de nourriture, la récolte a été très mauvaise, l'eau manque après une faible saison des pluies, les prix augmentent et l'activité économique est paralysée.»
Entre Mogadiscio et Afgooye, une ville à 25 kilomètres où MSF-Suisse est présent, près de 100000 réfugiés se sont installés dans divers «camps» de fortune. Selon une enquête de l'ONG, le taux de malnutrition aiguë sévère y est de 3%, une situation qui est qualifiée d'urgence nutritionnelle d'après la classification de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Existe-t-il un risque de famine? «Je ne sais pas. Mais les indicateurs sont mauvais», répond Huub Verhagen.
Contrairement au Darfour, où la présence humanitaire est forte et les camps de réfugiés visibles, l'assistance est ici très faible et la situation mal connue. L'ONU, à travers des ONG locales, distribue des vivres et des biens de première nécessité. Mais insuffisamment et trop irrégulièrement. «Il y a une très grande attente. L'autre jour, après une distribution de matériel pour des tentes, les gens ne disaient pas merci mais «quand vient la nourriture?» Le désespoir, le sentiment d'abandon règnent. La situation est très précaire.»
Alors que Washington accuse les Tribunaux islamiques d'être le dernier avant-poste d'Al-Qaida dans la corne de l'Afrique, discours relayé par le GFT, Huub Verhagen est plus prudent: «Ce n'est pas un conflit idéologique ou religieux. C'est un conflit politique avec en arrière-plan un contexte de lutte clanique.» Les récents attentats-suicides, comme en Irak, en Afghanistan ou au Maghreb, représentent toutefois une nouvelle forme d'action de la part des insurgés qui incite à croire que des djihadistes étrangers soutiennent désormais les Tribunaux islamiques.
La population vit-elle dans la peur d'Al-Qaida? «Les gens sont beaucoup plus inquiets de la présence des troupes éthiopiennes et de l'implication des Etats-Unis», commente Huub Verhagen. Les bombardements, en janvier au sud de la Somalie, par l'aviation américaine contre des poches d'islamistes soupçonnés d'abriter les auteurs d'attentats anti-américains au Kenya et en Tanzanie ont aussitôt suscité un important ressentiment anti-occidental ressenti par MSF.
Un rapport de l'ONU accusait la semaine dernière l'Erythrée d'être le principal fournisseur d'armes aux insurgés islamiques en violation d'un embargo imposé il y a quinze ans. Dans la foulée, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est prononcé en faveur d'une intervention de l'ONU en Somalie où stationnent déjà 1500 soldats de la force de paix de l'Union africaine. En attendant, constate Huub Verhagen, «les gens s'enferment dans leur petit monde, vivent au jour le jour». Avec le fatalisme pour seule armure.