Huit mille morts, et une honte ineffaçable constituaient-ils le juste prix à payer pour obtenir enfin la paix dans les Balkans?

Editorial
Le cynisme à l’œuvre
Vu avec vingt ans de recul, toutes les conditions semblaient réunies pour pouvoir l’empêcher. Le Conseil de sécurité était unanime (au moins en façade); la puissance de feu de l’OTAN était mobilisée; aucun intérêt stratégique ou économique majeur ne venait réellement troubler la réponse décidée que pouvait apporter une bonne partie du monde.
Et pourtant, l’innommable s’est produit, au cœur de l’Europe. Des criminels sanguinaires à l’œuvre, une dynamique inarrêtable, un poids politique trop lourd à porter ont eu raison, à l’époque, des dirigeants occidentaux. Comme achève désormais de le démontrer la spécialiste Florence Hartmann, c’est en pleine connaissance de cause que l’on a abandonné à son sort, et à ses tortionnaires, l’enclave musulmane «protégée» de Srebrenica.
Huit mille morts, et une honte ineffaçable constituaient-ils le juste prix à payer pour obtenir enfin la paix dans les Balkans? Non, si l’on en juge par la suite – le Kosovo, qui a réclamé cette fois une intervention occidentale bien plus dure. Encore moins s’il s’agit de mesurer ce prix à l’aune de la paix ainsi obtenue qui, vingt ans plus tard, reste encore boiteuse, presque une guerre en suspension dans une partie de la région.
Simplifier la situation, tirer des traits sur une carte, et sacrifier au passage une population, ainsi que ses propres engagements et ses propres valeurs. Certes, les leçons sont toujours plus faciles à donner après coup. Mais pareille démonstration de cynisme politique laisse pantois, même vingt ans plus tard.
Dès lors, la question se pose, ou peut-être ne se pose-t-elle plus: qui, aujourd’hui, serait prêt dans la région, sinon à réparer les fautes du passé, au moins à répondre de ses responsabilités? Tandis que les Balkans vont mal (la Grèce qui perd son rôle stabilisateur, la Bosnie, la Macédoine, le Kosovo…), quel «prix» serait prêt à payer l’Occident pour assurer sa tranquillité?
Mais à cette question s’ajoute aussi un constat: les conflits actuels (la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Libye) recèlent des enjeux d’une complexité folle en regard des guerres ex-yougoslaves. A tel point que même le cynisme s’y révèle inopérant.