De père en fils, les Assad se sont toujours abrités derrière le spectre de l’extrémisme sunnite pour se maintenir au pouvoir. Désormais, même les capitales occidentales – qui ont annoncé, mercredi, la préparation d’une résolution onusienne condamnant fermement la violence de la répression – mettent en doute ce discours dont elles s’étaient pourtant accommodées pendant de longues années. «En s’embourbant dans la violence, le régime d’Assad a montré son vrai visage. Aujourd’hui, l’argument du danger salafiste est un faux argument», concède un diplomate qui préfère garder l’anonymat. Quand il arrive au pouvoir, en 1970 Hafez el-Assad fonde aussitôt sa stratégie sur un système clientéliste qui privilégie la communauté alaouite (environ 10% de la population). Y sont prioritairement recrutés les forces de sécurité et les cadres du régime. Les bourses d’études à l’étranger leur sont également plus facilement accordées. «En parallèle, les Alaouites ont renforcé leur assise sur la région côtière (provinces de Lattaquié et Tartous), leur principal fief, tout en empiétant sur les zones sunnites (dont la communauté, alors marginalisée, représente 80% de la population) et en intégrant les territoires chrétiens, druzes et ismaéliens», remarque le chercheur Fabrice Ballanche, spécialiste de la Syrie, où il s’est rendu le mois dernier.
Quand Bachar el-Assad prend la relève, à la mort de son père, en 2000, il change légèrement de stratégie. «Il s’est mis à modifier les piliers du régime, en cooptant la bourgeoisie et les gros marchands sunnites pour s’assurer leur appui», observe le chercheur qui rappelle que l’actuel ministre syrien de l’Intérieur n’est autre qu’un sunnite de l’arrière-pays de Lattaquié. «Et puis, réalité démographique oblige, la troupe et les sous-officiers sont de plus en plus sunnites, tandis que les Alaouites gardent les postes à responsabilité au sein de l’armée», précise-t-il. D’où, selon certains observateurs, la conviction qu’une mutinerie interne à l’armée dans la ville de Jisr al-Choughour, vivement réprimée dans le sang lundi passé, a certainement eu lieu, les soldats n’ayant pas supporté qu’on les fasse tirer inlassablement sur leurs «frères».
Car depuis le début de la révolte, les forces loyales à Bachar el-Assad, mélange hétéroclite d’officiers et de chabihas (les miliciens dirigés par son frère, Maher) s’appuient, selon nos sources, sur une tactique qui consiste à isoler et encercler les principaux quartiers sunnites où ont lieu les manifestations, pour mieux les attaquer. Pour achever d’attiser les antagonismes intercommunautaires, le régime mise également sur une campagne de désinformation. Plusieurs églises rapportent avoir reçu des lettres mettant en garde les chrétiens contre le fléau extrémiste sunnite. La télévision d’Etat, elle, diffuse des informations souvent biaisées et invérifiables, en faisant ainsi passer, comme à Jisr al-Choughour, de potentiels soldats exécutés pour avoir fait défection en victimes de «bandes armées».
De quoi inquiéter les opposants au régime. «Notre combat contre le pouvoir est démocratique, pas religieux», insiste l’activiste Rami Nakhlé en rappelant que de nombreux leaders de la contestation sont Alaouites, comme l’ex-député Riad Seif. Mais la violence de la répression pourrait, à terme, provoquer un conflit sectaire. «Si ça continue, on n’est pas à l’abri d’actes de vengeance individuels», s’inquiète-t-il.