Comment l’attaque chimique ayant fait plus de 86 morts dont 28 enfants, perpétrée le 4 avril dans la ville de Khan Sheikhoun, dans la province d’Idlib, a-t-elle pu être menée? Depuis 2013, le régime du président syrien Bachar el-Assad était censé avoir remis l’intégralité de son arsenal chimique aux équipes des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), soit 1300 tonnes de gaz sarin, d’agent moutarde et de gaz VX. Effectuée dans le contexte d’une guerre civile, l’opération menée par l’OIAC et l’ONU en coopération avec les Etats-Unis et la Russie, avait été qualifiée de grand succès.

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Tout indique que l’attaque du 4 avril a été menée au moyen de gaz sarin

A ce moment-là, Andrew Weber était secrétaire adjoint à la Défense et principal conseiller des chefs du Pentagone pour les programmes de défense nucléaire, chimique et biologique. Il fut même celui qui poussa à mettre sur pied le programme d’élimination des armes chimiques qui valut à l’OIAC le Prix Nobel de la paix en 2013. Il le confie au «Temps»: «Il y a deux possibilités. Soit le régime de Damas n’a pas déclaré quelques barils de sarin, soit il a redémarré une production de gaz neurotoxique à petite échelle. Il a indéniablement l’expertise pour le faire. Mais tout indique que l’attaque du 4 avril a été menée au moyen de gaz sarin.» Les symptômes des victimes semblent le confirmer: pupilles dilatées, hypersalivation, asphyxie. Le gaz sarin, un neurotoxique inventé en 1938 en Allemagne en tant qu’insecticide, a été utilisé en Syrie au printemps 2013 et surtout le 13 août de la même année dans la Ghouta, à l’est de Damas, lors d’une attaque imputée au régime qui fit plus de 1400 morts.

Engagement bafoué

Si cela devait se confirmer, Damas a une nouvelle fois bafoué son engagement pris en octobre 2013 quand la Syrie est devenue un Etat partie à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et un membre de l’OIAC. Une fois les 1300 tonnes de gaz neurotoxiques éliminés en Méditerranée sur un navire américain spécialement aménagé, quelques membres de l’OIAC avaient émis quelques doutes quant à la véracité des déclarations du pouvoir syrien au sujet de l’ampleur de ses stocks d’armes chimiques. Avant l’émergence du Printemps arabe, le régime de Bachar el-Assad possédait des centres de production près de la capitale, à Alep, Homs, Lattaquié et Hama. Ceux-ci étaient capables de produire plusieurs centaines de tonnes de neurotoxiques par an.

Pour leur part, Damas et Moscou laissent entendre que les rebelles de l’opposition syrienne auraient mis la main sur des stocks syriens d’armes chimiques qu’ils auraient transportés en Irak avant de les rapatrier en Syrie. Syriens et Russes vont jusqu’à prétendre que l’aviation syrienne aurait bombardé un dépôt de l’opposition contenant les armes en question et que l’explosion aurait provoqué un vaste nuage toxique. Un scénario peu plausible, estiment plusieurs experts. Même stockés dans le même entrepôt, les deux composants du sarin ne peuvent pas, sous l’action des bombes, produire la réaction chimique nécessaire pour produire les effets d’un neurotoxique. La Mission d’établissement des faits de l’OIAC s’active désormais à faire la lumière sur la tragédie.

En 2013, il n’y avait pas d’option militaire. Il était impossible de bombarder les arsenaux d’armes chimiques

A propos des bombardements effectués jeudi, Andrew Weber, contredit la rhétorique de Donald Trump. Le président américain accable son prédécesseur Barack Obama qui refusa de mener des frappes contre Bachar el-Assad alors que Donald Trump lui-même approuvait à l’époque la décision du démocrate: «En 2013, il n’y avait pas d’option militaire. Il était impossible de bombarder les arsenaux d’armes chimiques, un acte beaucoup trop risqué pour la population. L’élimination des 1300 tonnes de neurotoxiques a en réalité rendu des frappes comme celles de jeudi soir possibles. Une fois que la grande majorité des stocks sont évacués, les risques découlant de frappes aériennes sont sensiblement réduits. Maintenant, ajoute Andrew Weber, il faut voir si ces frappes vont dissuader Damas de mener de nouvelles attaques».


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