Elle a grandi en milieu urbain, dans l’ex-capitale du royaume de Sardaigne. Turinoise, Daria Cibrario aime les villes, la mécanique de leur fonctionnement, leur créativité. Ces «espaces pluriels d’expérimentation», dit-elle, nous informent sur les politiques futures à mener à l’échelle mondiale. Son intérêt pour l’urbain a trouvé un nouveau port d’attache pour ainsi dire. Depuis le 14 septembre, cette Italienne de 44 ans officie comme directrice du Geneva Cities Hub, une association de droit privé créée il y a peu par la Ville et le canton de Genève avec le soutien stratégique de la Confédération.

Son objectif: faire prendre conscience à l’écosystème de la Genève internationale de la contribution importante des villes pour relever les défis sociétaux d’aujourd’hui et de demain. Celles-ci sont pour l’heure insuffisamment écoutées. Le nouvel espace de dialogue entre les Etats, les organisations internationales, la société civile, l’académie et les villes comble à ses yeux un vide. Il permettra une vraie «visibilisation» de la question urbaine dans la Genève internationale. «On a rarement le réflexe systématique d’inclure les autorités locales et leurs communautés dans la conversation. C’est ce que nous espérons pouvoir changer», précise la Turinoise.

Détermination et épicurisme

Mais, poursuit-elle humblement, elle ne représente pas les villes, ni les quelque 200 réseaux de villes existant à travers le monde, ni ne parle au nom de «l’ONU des villes», la grande organisation Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) basée à Barcelone et dont Genève avait tenté en vain, en 2002, d’obtenir le siège. Elle compte en revanche profiter de son expérience d’ex-responsable chargée du secteur administrations locales et régionales et des multinationales à l’Internationale des services publics (ISP) ou d’ex-secrétaire politique du secteur alimentaire et des boissons à la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme à Bruxelles pour faire avancer la cause qu’elle embrasse avec une passion contagieuse. Elle-même est un mélange de détermination et d’épicurisme. Elle aime la danse, le lac, les parcs et… la petite arvine.

Remplir cette fonction inspirante, c’est une manière de rendre ce que sa ville d’adoption, Genève, sa communauté, lui a donné jusqu’ici. Elle compte puiser dans la richesse de l’écosystème local pour plaider sa cause en mettant par exemple en valeur le dialogue participatif présent au bout du Léman. Elle va tenter de trouver le graal en matière de coopération pour que la Genève locale et internationale se rencontre vraiment. Elle partage d’ailleurs la vision de la directrice de l’Office des Nations unies à Genève, Tatiana Valovaya, qui voit elle aussi dans l’apport des villes un «multilatéralisme moderne».

Daria Cibrario mentionne quelques chiffres pour illustrer la nécessité d’un plaidoyer pour l’urbain au sein d’un multilatéralisme en pleine redéfinition. Selon la Banque mondiale, 55% de la population du globe vit en milieu urbain, soit 4,2 milliards de personnes. Et la tendance devrait fortement se renforcer d’ici à 2050. 80% du PIB mondial est produit par les villes. «Les villes, souligne Daria Cibrario, sont en quelque sorte le radar avancé de la mondialisation, pour ses aspects positifs et négatifs.» Côté négatif, c’est en milieu urbain que le Covid-19 frappe le plus, avec 90% des cas, selon l’ONU.

Polyglotte, parlant le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais, cette Italienne a gardé de sa ville natale l’amour du bon café qu’elle aime boire au «Torino» sur la place San Carlo de Turin. A Genève, ce plaisir est plus difficile à trouver. De Turin, elle continue d’admirer le castrum romain, cette organisation en quadrilatère du centre historique. La cité piémontaise est son «alma mater», qui a façonné sa manière de penser. Entre Genève et Turin, elle voit plusieurs points communs: ce sont des villes à l’histoire riche, de culture «pas si différente», privilégiant la discrétion, le dévouement au travail voire le zèle.

La mutation de Turin

Urbaine, Daria Cibrario sait apprécier les espaces de verdure. L’incroyable biodiversité présente à Genève l’enchante et elle en a conscience: l’avenir de la ville, c’est une relocalisation des services, une alimentation «en chaîne courte» et de la verdure. C’est aussi maintenir un continuum entre la ville et le milieu rural qui la nourrit. «Une manière de redécouvrir les quartiers d’autrefois», s’amuse-t-elle à souligner. Dans cette perspective, Turin a su faire sa mue pour passer d’une cité industrielle suffocante à une ville aérée, vivante et agréable.

«Les Jeux olympiques de 2006 ont manifestement été un point de bascule», constate Daria Cibrario. Sciences politiques à Turin, économie mondiale à la London School of Economics, la directrice du Geneva Cities Hub a roulé sa bosse. Mais pour elle, c’est le bon moment de se poser à Genève, une ville où elle vit par intermittence depuis un peu moins de quinze ans, l’endroit idéal pour mettre en œuvre les Objectifs de développement durable de l’ONU, en particulier l’ODD 11 «Villes et communautés durables».


Profil

1976 Naissance à Turin.

1999 Stage au Centre international de formation de l’OIT à Turin.

2003 Master en politiques de l’économie mondiale à la LSE, à Londres.

2011 Directrice industrie agroalimentaire à la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l'agriculture et du tourisme (EFFAT), à Bruxelles.

2015 Responsable gouvernements locaux et régionaux et multinationales à l’Internationale des services publics, à Ferney-Voltaire (F).

2020 Directrice du Geneva Cities Hub.


Retrouvez tous les portraits du «Temps».