Portrait
L’octogénaire refuse de prendre sa retraite. Il a créé la Fondation Antenna pour proposer des solutions technologiques aux populations les plus démunies. Il est épaulé par l’astrophysicienne

Daria Robinson ouvre la porte d’entrée de la Fondation Antenna, alors qu’elle s’apprêtait à se faire un café. «J’étais à New York pour voir mon fils de 19 ans. Je suis arrivée ce matin à Genève», annonce, la paupière lourde, la nouvelle directrice des lieux en guise de préambule.
Cette astrophysicienne rejoint le bureau de Denis von der Weid, octogénaire longiligne au visage creusé et aux cheveux blancs dressés sur la tête. Trente ans les séparent. Le fondateur de cet organisme reconnu d’utilité publique, qui diffuse depuis trente ans des solutions technologiques, économiques et médicales aux populations les plus démunies, cherchait une personne pour reprendre la direction d’Antenna.
Une émission de la RTS sur Denis von der Weid.
Son bureau ressemble à un véritable antre regorgeant de bibelots, de tableaux haïtiens, de dossiers posés en vrac, de capsules d’hibiscus – qui permettent de lutter contre l’hypertension – ou d’objets qui semblent avoir été bricolés sur un coin de table. Pourtant, ce ne sont pas des gadgets mais des outils capables de sauver des vies.
Un exemple? Cet appareil d’électrolyse nommé Wata, que l’on peut brancher à un panneau solaire. Cette technologie transforme une solution d’eau salée en hypochlorite de sodium, soit en chlore capable de rendre l’eau potable. Cette production décentralisée permet aux utilisateurs d’être indépendants de toute fourniture externe et d’éviter les problèmes de transport et de stockage. Par exemple dans les cas d’épidémies infectieuses.
Inventés il y a une dizaine d’années, plus de 4000 appareils Wata ont été diffusés dans une centaine de pays. Antenna estime faciliter ainsi l’accès à l’eau potable à 20 millions de personnes. «La charité ou le don ne permettent pas de diffuser largement une technologie. Il faut un modèle économique viable avec des partenaires locaux pour avoir un réel impact. Lorsqu’une start-up décide de commercialiser nos idées, nous en sommes enchantés. Nous favorisons aussi l’autonomie des populations locales», affirme celui qui fut tour à tour professeur d’économie de développement, président de la Déclaration de Berne (aujourd’hui Public Eye), directeur d’une grande société pharmaceutique, responsable de recherche dans une léproserie indienne, professeur d’université à Bogota et père de sept enfants. «J’ai adopté cinq frères et sœurs orphelins à Bombay. Aujourd’hui, je suis grand-père de 18 petits-enfants adoptés.»
De l’espace aux plus démunis
«Pourquoi les grandes institutions de recherche ne laissent-elles pas quelques miettes de leurs budgets pour résoudre les défis Nord-Sud? 80% des technologies développées profitent à seulement 10% de la population mondiale. Ce clivage nous coûtera très cher», s’indigne Denis von der Weid qui a ouvert sa porte, en septembre dernier, à Daria Robinson. Mais il n’est pas près de tirer sa révérence. «Je prendrai ma retraite quand je serai à l’horizontale», lance-t-il. Elle sourit. «C’est comme un tango que l’on doit apprendre à danser à deux. Il est parfois têtu. C’est à la fois un défaut et une qualité, dit-elle. Mais je suis tombée amoureuse de son énergie et des causes qu’il défend. Cela me plaît de pouvoir améliorer les conditions de l’extrême pauvreté grâce à la science.»
Ce déclic n’est pas venu tout de suite. A 16 ans, son cœur ne battait que pour le spatial. Devenir astrophysicienne était une évidence. Sa carrière l’a menée à l’Agence spatiale européenne où – grâce à son énergie et à son charisme – elle a convaincu divers acteurs. Elle a aussi fondé et dirigé Science & Space Bridges, une société créant des ponts entre la science et la technologie, les gouvernements, l’industrie et la société.
Monsieur Spiruline
«A Antenna, j’ai l’impression de retomber dans un monde familier. Je reviens aux sources», ajoute Daria Robinson. Dans sa famille, les scientifiques étaient une espèce inconnue. Sa mère était psychologue alors que son père travaillait pour l’OMC. «Le mien était chef de la cavalerie suisse», note de son côté Denis von der Weid qui, enfant, a été envoyé en pensionnat à Berne et ne rentrait chez lui qu’une fois tous les trois mois. «La question de la faim était déjà un vrai sujet de préoccupation. Il fallait finir son assiette. On nous disait que les Chinois n’avaient pas assez à manger. Mais on ne savait même pas où était la Chine.»
Aujourd’hui, selon un rapport de l’ONU, on sait que 821 millions de personnes sont en situation de manque chronique de nourriture, soit un habitant de la planète sur neuf. Fonctionnant avec un budget d’environ 4 millions de francs, la Fondation Antenna tente de résoudre une partie du problème. Elle a, par exemple, développé avec la société Eléphant Vert des biostimulants destinés à plusieurs pays d’Afrique. Une alternative aux engrais et pesticides chimiques qui permet aux agriculteurs de diminuer leurs coûts de production. La Fondation Antenna est aussi pionnière en matière de production et de distribution de spiruline, la micro-algue dont quelques grammes par jour améliorent l’état des enfants mal nourris. «Nous pourrions faire beaucoup plus. Nos actions ne constituent que quelques gouttes au milieu de l’océan», conclut Denis von der Weid.
Retrouvezles portraits du Temps.
Profils
1935 Naissance de Denis von der Weid.
1966 Naissance de Daria Robinson.
1989 Création d’Antenna.
2004 Lancement du Wata.