A défaut d’avoir réussi ses trois années à la tête de la Grande-Bretagne, Gordon Brown aura réussi sa sortie. Dans la soirée de mardi, le premier ministre s’est rendu sur le perron de Downing Street. Dans l’un des discours les plus émouvants qu’il ait jamais donnés, il a su s’en tenir au strict minimum.

«Je vais donner ma démission à la reine. […] Elle invitera alors le leader de l’opposition à former un gouvernement. Je lui souhaite bonne chance. […] J’ai adoré ce job, pas pour son prestige […] mais pour son potentiel, pour faire de la Grande-Bretagne un pays meilleur.» Il a ensuite rendu un hommage vibrant, la voix légèrement cassée, à sa femme. Et, fait exceptionnel, ses deux enfants, qu’il a toujours refusé d’utiliser à des fins électorales, sont sortis, emmenés par la main par leurs parents jusqu’au côté du 10, Downing Street. Dans sa Jaguar bleue officielle, Gordon Brown s’est ensuite rendu à Buckingham Palace remettre sa démission.

David Cameron, le leader des conservateurs, l’a succédé rapidement chez la reine d’Angleterre, qui l’a confirmé comme premier ministre. Au terme de cinq jours de négociations sous haute tension, le nouveau chef du gouvernement a annoncé hier soir avoir trouvé un accord avec les libéraux-démocrates de Nick Clegg pour former une une coalition.

Des interrogations

Lundi, Gordon Brown avait bien tenté un dernier coup, en annonçant sa démission de la direction du Parti travailliste. Ce coup de théâtre, en retirant cet homme politique usé et impopulaire, avait permis aux libéraux-démocrates d’ouvrir des négociations avec les travaillistes. Celles-ci ont cependant rapidement échoué dans la matinée d’hier. Elles avaient d’ailleurs été bancales dès le début. L’addition des voix travaillistes et «lib-dems» ne suffisant pas à atteindre la majorité absolue. L’ère du New Labour était terminée.

Il restait cependant d’importantes interrogations hier soir. La principale était l’accord exact entre conservateurs et libéraux-démocrates. Cela sera-t-il une coalition formelle, dans lequel le parti centriste a des ministres, ou un simple «gouvernement minoritaire»? La seconde solution serait un exécutif mené par les conservateurs, soutenu par les libéraux-démocrates lors des votes clés (discours de politique générale de la reine, budget…), mais sans ministre issu du parti centriste.

Le coup de bluff des «lib-dems», en reprenant des négociations avec les travaillistes, semble cependant avoir porté ses fruits. Les conservateurs leur offrent désormais un référendum sur le système politique, auquel ils s’opposaient jusqu’à présent. Le mode de scrutin actuel – vote uninominal à un tour – désavantage fortement le parti centriste, qui réclame l’introduction d’une dose de proportionnelle. Si les Britanniques votent en faveur de cette réforme, cela changerait profondément le paysage politique du pays.

Au-delà des négociations politiques, l’alchimie personnelle entre David Cameron et Nick Clegg a joué un rôle important. Malgré des programmes politiques très différents, les deux hommes s’entendent bien. Ils viennent du même milieu social. Les deux ont été éduqués dans des lycées privés haut de gamme, Eton College pour le leader conservateur et Westminster School pour son homologue lib-dem. Ils ont le même âge (43 ans), habitent les beaux quartiers de Londres (même si David Cameron a ses origines dans la campagne cossue près d’Oxford), et sont d’excellents orateurs.

De plus, Nick Clegg est moins de gauche qu’il n’y paraît. Ancien journaliste du Financial Times, le très libéral quotidien financier, il a lui-même travaillé à Bruxelles dans les années 1990 auprès de Leon Brittan, ancien commissaire européen britannique, et conservateur – «un ayatollah du marché», selon un observateur. C’est aussi à cette époque qu’un certain Ed Llewellyn, désormais chef du personnel de David Cameron, travaillait avec la femme de Nick Clegg, avocate alors en poste à Bruxelles. Les deux hommes ont gardé d’excellentes relations personnelles.

Liens entre les deux partis

Les liens entre les deux partis sont également clairs parmi les deux équipes qui ont négocié l’accord. David Laws, des lib-dems, est un ancien banquier d’affaires, très critique contre le «socialisme ramolli» des travaillistes. Ed Llewellyn, encore lui, a aussi travaillé avec Paddy Ashdown, l’ancien leader des «lib-dems», quand celui-ci était émissaire en Bosnie. Bref, ces hommes se connaissent bien, s’apprécient, et n’auraient aucun problème à traiter des dossiers en commun. Cette amitié apparente pourrait cependant être mise à rude épreuve face à la réalité du pouvoir.