Dans presque tous les pays européens, le port du voile intégral, pourtant très rare, pose le problème de la relation occidentale à l’islam. Terrain glissant.

Le Grand Conseil argovien – qui «prend la chose au sérieux», selon le Blick – veut interdire le voile intégral dans l’espace public suisse. Cela met sur le devant de la scène ce que la Neue Zürcher Zeitung appelle «le mystérieux problème de la burqa». En réalité, un «faux» problème, selon elle, vu la rareté de ses occurrences helvétiques et vu, surtout, que ce n’est pas à l’Etat de légiférer «en matière de religion et de style de vie». Même vanité pour le Tages-Anzeiger, qui verrait dans l’interdiction généralisée une mesure «inutile et trompeuse» parce que «les femmes réellement opprimées par leur mari n’y trouveraient aucune libération» et que cela ne résoudrait pas les vrais problèmes, comme les cours de natation pour les jeunes musulmanes scolarisées en Suisse ou les imams qui ne se sont pas intégrés.

Par ailleurs, pour la première fois en Italie, sans qu’aucune loi ait été formellement promulguée par l’Etat, écrit Le Point, une femme a été condamnée à payer une amende de 500 euros pour avoir porté une burqa en violation d’un arrêté municipal, expliquent La Repubblica et le Corriere della sera, qui détaille la manière dont elle a été piégée. Reste à savoir si elle devra bien la payer, cette amende. Dans le vide législatif occupé par les extrémistes de la Lega, «elle peut en tout cas d’ores et déjà déposer un recours», commente Elle.

Swissinfo jette un peu d’huile sur le feu en titrant sur le fait que l’interdiction sur sol helvétique devrait intervenir après que le pays s’est déjà prononcé contre la construction de minarets. Partout en Europe, donc, le débat s’enflamme, alors que la Belgique a déjà passé à l’acte: faut-il la proscrire, cette burqa, qui fait des vagues sur tout le continent?, note Courrier international. Mais il y a un dilemme, qu’exprime un billet d’humeur de l’Observer: «Pour soutenir les musulmanes, il faut lutter à la fois contre ceux qui promeuvent le niqab et la burqa et contre les xénophobes européens qui prétendent défendre leurs droits.»

Reste que les appels à l’interdiction se multiplient. En Autriche, c’est la secrétaire d’Etat Christine Marek qui se mobilise, alors qu’«on ne voit de facto aucune burqa» dans ce pays, souligne Die Presse. Le problème est d’ailleurs plus général: «En Europe, la burqa n’est portée que par quelques milliers de femmes», note le journal tchèque Mladá fronta Dnes. Alors, propos symboliques, voire électoralistes, ainsi que l’affirme le Jyllands-Posten danois? En Europe de l’Ouest, l’opinion publique est majoritairement favorable à l’interdiction, comme le montre un sondage publié par le Financial Times: à 70% en France, 63% en Italie, 57% au Royaume-Uni et tout juste 50% en Allemagne. Et l’Espagne, note El País, qui était jusqu’à présent restée à l’écart du débat et où «autorités et partis se félicitaient d’avoir fait preuve de pragmatisme et de tolérance»? La proportion s’élève à 65%.

Sans compter qu’aux Pays-Bas, le débat «fait rage à la veille des législatives anticipées du 9 juin prochain où le Parti pour la liberté (PVV) du très islamophobe Geert Wilders espère enregistrer un score record. Six étudiantes musulmanes voilées ont éprouvé le besoin, courant avril, de rassurer ceux qui craignent le voile» par une lettre ouverte publiée dans le quotidien De Volkskrant. Plus de doute possible: le malaise s’accroît à l’égard des musulmans, et «des intellectuels en appellent à la raison», comme le montre un passionnant article de Die Zeit, traduit par Courrier international.

Cela n’empêche pas les cris de colère. Sur Shaffaf, un site d’information arabe créé en 2006 qui publie des articles reflétant un point de vue libéral, il faut lire celui d’une journaliste palestinienne vivant à Oslo contre ce voile qui transforme les femmes en «cachots ambulants». Mais «une interdiction serait contre-productive», estime le quotidien suédois Göteborgs-Posten, cité et traduit par Eurotopics: «Il y a un grand risque que nous aggravions même la situation en réduisant la mobilité des femmes qui ne portent pas le voile de leur propre initiative. […] La burqa est devenue un symbole du régime des talibans, contre lequel luttent activement la plupart des pays de l’UE en participant à la guerre en Afghanistan.»

L’argument se tient, mais il n’empêche pas les dérapages et les prises de position radicales, comme celle d’un effrayant blogueur du Jerusalem Post: «Les burqas et les niqabs devraient être exclus de l’espace public car ils y constituent des risques. N’importe qui peut se dissimuler sous ces linceuls – homme ou femme, musulman ou pas, bon citoyen, fugitif ou criminel – et y nourrir on ne sait quel projet malveillant.» Il fait notamment référence, pour sa démonstration, à un «film d’horreur pakistanais», Zibahkhana, qui «exprime la crainte généralisée produite par ces vêtements à travers un personnage sadique et cannibale nommé «l’homme à la burqa», œuvrant dans un univers de zombies. Brrr…