Andres Manuel Lopez Obrador, ex-candidat de la gauche à la présidentielle et instigateur de cette véritable guerre de tranchées, en est aujourd'hui le principal bénéficiaire. Refusant toujours de reconnaître sa défaite, l'ancien maire de Mexico avait déjà porté un premier coup à l'autorité du président élu en se faisant proclamer «président légitime» (LT du 22.11.06). Intronisé le 20 novembre dernier devant des milliers de manifestants réunis sur le Zocalo, la place principale de la capitale, celui que ses partisans appellent AMLO a une fois de plus forcé le destin - sinon la légalité - en composant un «gouvernement parallèle» de douze ministres. Assumant son rôle de «président bis» jusqu'au bout, il profite déjà de chacune de ses conférences de presse quotidiennes pour transmettre des propositions de loi aux députés qui lui sont fidèles tout en promettant de visiter les 2500 communes mexicaines au cours de son mandat, afin de recueillir «les aspirations du peuple».
Pour Oscar Camacho, coauteur de La victoire qui n'a pas eu lieu, un essai sur le scrutin du 2 juillet, cet activisme forcené est «une manière de se maintenir dans l'actualité» et de «préparer une candidature pour les prochaines élections de 2012». Mais AMLO, qui a déjà demandé cet été à ses militants de bloquer le centre de Mexico, va-t-il pouvoir maintenir la fièvre revendicatrice jusqu'à cette échéance? Le 15 octobre dernier, il subissait indirectement une rude défaite électorale dans le riche Etat pétrolier du Tabasco, son principal bastion, après la capitale fédérale, où son candidat au poste de gouverneur était battu par celui du vieux Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Alors qu'en février dernier, au début de la campagne électorale, 63% des Mexicains avaient une image positive du combat d'Obrador, ils seraient aujourd'hui la même proportion à rejeter son radicalisme.
Pour Lorenzo Meyer, chercheur au Collège de Mexico, ces signes de fatigue sont pourtant loin d'être significatifs. «Peu importe d'avoir une majorité, souligne-t-il. Les élections sont passées et tout se joue aujourd'hui sur l'intensité de la mobilisation. Obrador a perdu l'appui du centre, des classes moyennes, mais il reste toujours très populaire à gauche. Avoir le soutien d'un tiers de la population suffit pour maintenir l'agitation dans tout le pays.»
Un scénario de confrontation permanente qui se dessine aussi dans le gouvernement présenté ces derniers jours par Felipe Calderon, qui, selon Lorenzo Meyer, «n'offre aucune réponse au mouvement social». Le cabinet économique, composé de libéraux, sera dirigé par le très orthodoxe Agustin Carstens, ancien sous-directeur du Fonds monétaire international.
Le nouveau président aurait par ailleurs fait une concession à l'extrême droite catholique en attribuant le secrétariat à la Santé à José Angel Cordoba, un chirurgien ouvertement contre la «pilule du lendemain» et contre l'euthanasie. La nomination de Francisco Ramirez Acuna au Ministère de l'intérieur apparaît enfin comme une véritable déclaration de guerre. Cet ancien gouverneur de l'Etat du Jalisco, aux méthodes répressives, avait été sévèrement mis en cause par les défenseurs des droits de l'homme pour les brutalités commises contre les altermondialistes lors du sommet Amérique latine- Europe de 2004. Un avertissement aux insurgés d'Oaxaca, qui s'affrontent aux forces de l'ordre depuis près de six mois, mais aussi aux partisans d'Andres Manuel Lopez Obrador.