« Depuis le 6 décembre, un nouveau parlement existe en Europe: le Parlement de Catalogne. Un des organes les plus importants pour la vie autonome de la Catalogne vient ainsi à la vie, ou peut-être plus exactement, y revient.

En effet, la Catalogne avait depuis le treizième siècle ses Corts ou parlement, où la noblesse, le clergé et le peuple se trouvaient représentés, et ce n’est, en somme, qu’au début du dix-huitième siècle qu’elle en a été dépouillée, ainsi que de ses autres institutions séculaires, après sa lutte acharnée contre le premier Bourbon espagnol [Philippe V]. L’inauguration de leur parlement a donc pour les Catalans une double signification: ils y voient à la fois le signe le plus haut de leur nouvelle autonomie et la réparation de leur défaite en 1714. Ce dernier aspect prend même une représentation plastique: l’édifice du nouveau parlement n’est, convenablement et luxueusement adapté, que l’ancien arsenal de la citadelle, formidable forteresse dressée par Philippe V pour menacer et assujettir Barcelone. Les fêtes de l’inauguration ont revêtu une grande solennité et le peuple s’y est associé avec enthousiasme.

Le Parlement catalan a devant soi une tâche immédiate, celle de donner une Constitution à la Catalogne, d’établir une loi électorale, d’étudier et de discuter le premier budget de la région autonome. M. [Francesc] Macia, élu par le Parlement président de la Généralité de Catalogne, et ses amis, qui ont la majorité absolue dans la nouvelle Chambre, sont en face d’une grave responsabilité. Le succès du régime que la République espagnole a reconnu à la Catalogne dépend en grande partie de la façon dont ils comprendront leur tâche.

Le système majoritaire employé dans les élections, avec le 80% des sièges pour la majorité (même proportion que pour les Cortes constituantes de la République) n’a pas permis que le premier Parlement de la Catalogne fût un reflet fidèle du peuple catalan. Malgré la forte diminution de suffrages qu’elle a subie, la gauche républicaine, parti de M. Macia (40 000 voix de moins, seulement à Barcelone), dispose de la majorité absolue, ce qui augmente sa responsabilité. D’importants secteurs d’opinion sont restés sans représentation aucune ou avec une représentation très faible, ce qui ne correspond pas à la réalité de leurs forces. […]

L’Espagne suit avec le plus grand intérêt ces premiers pas de la Catalogne dans les voies du self government. Les élections catalanes, spécialement, ont provoqué une véritable tension à Madrid, Valence et d’autres grandes villes. […]

Le résultat [de ces] élections […] et les débuts du nouveau Parlement n’ont fait que renforcer le gouvernement de M. [Manuel] Azaña [chef de la gauche du Front populaire] – ce dont il a un certain besoin à l’heure où il est l’objet d’une forte offensive non seulement en Espagne mais aussi à l’étranger: il a à subir, d’une part, les violentes attaques du parti de M. [Alejandro] Lerroux [leader du Parti républicain radical] dans les Cortes, et l’agitation extrémiste et terroriste dans certaines provinces et capitales; d’autre part, il est en butte aux attaques de certains journaux étrangers.

Espérons que le gouvernement Azaña pourra résister à cette offensive […]. Dans les circonstances actuelles [l’exil du roi Alphonse XIII et la proclamation de la République en 1931], l’ébranlement [de son] gouvernement […] ne pourrait être qu’un mal pour l’Espagne. »