Terrorisme
Rencontre à Nice avec des «mentors», psychiatres, imams et éducateurs qui travaillent avec des jeunes partis combattre ou attirés par le djihad

Depuis les attentats de Paris, il n'a pas revu ses djihadistes. L'administration pénitentiaire a mis son veto. Lui-même ne souhaitait pas les rencontrer. «On effectue un travail à froid, l'actualité chaude par définition nous dessert». Djamel Mesraoui, un sociologue des religions, est un «mentor», autrement dit un guide, un inspirateur. Il a intégré le programme gouvernemental français de lutte contre la radicalisation.
Depuis un an, il anime des groupes de parole au sein de plusieurs prisons, à Paris et ailleurs. Séances de deux heures par jour auprès d'hommes, jusqu'à douze ensemble, qui se sont rendus en Syrie ou en Irak, et qui purgent de lourdes peines. Il explique: «Je ne les blâme pas, je les considère afin qu'ils racontent les éléments de base qui font qu'ils sont derrière les barreaux. On déconstruit pour reconstruire. Ils pensent encore qu'ils ont bien agi en allant combattre. Un prisonnier m'a dit qu'il faisait des bêtises, qu'il était un délinquant mais qu'il a eu le sentiment de prendre un droit chemin en rejoignant le djihad».
Djamel a une double culture franco-algérienne. «Il ne faut pas tomber dans la proximité identitaire, mais la même appartenance est un atout, on connaît le contexte socio-culturel. Je raconte que j'ai laissé ma famille en Algérie et que je vis pleinement dans la société française, j'éprouve le racisme mais ne ressens pas de la victimisation car je crée le dialogue». Djamel a été volontaire à Haïti, Madagascar, en Éthiopie et dit aux détenus que ces gens-là ont perdu des enfants, leurs maisons, des terres, des animaux et que leur volonté intérieure de s'en sortir est profonde. Djamel: «L'humanité alors nous rapproche. Un garçon m'a dit: dommage que ces rencontres n'aient pas eu lieu avant. Ils sont encore très sceptiques. Pour certains, nous entrevoyons le début de remords. Il y a peu de temps de cela, ils se sont mis en rang pour me saluer un par un après une séance, c'est une forme de conduite, une posture de respect».
Samedi à Nice, Djamel Mesraoui s'est joint à une trentaine de psychologues, avocats, éducateurs, anthropologues et imams réunis à l'initiative d'Unismed, une association marseillaise spécialisée dans la médiation sociale, fondée en 2005 au lendemain des violences urbaines en France. Le psychanalyste Alain Ruffion, directeur d'Unismed, explique: «Depuis deux ans, nous avons qualifié plus de 2000 professionnels à la détection et à la compréhension des processus de radicalisation. Bien avant les attentats du 13 novembre, nous avions décidé de passé à la vitesse supérieure en créant en juin avec nos correspondants européens et nord-africains un groupe de prévention de la radicalisation».
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Ils étaient à Nice ce samedi. Un avocat danois d'origine turque déradicalise depuis trois ans dans une ville de 300 000 habitants. Le Danemark est l'un des pays européens qui a connu le plus de départs en Syrie (150 depuis 2011). Le retour des djihadistes s'y effectue «en douceur avec certes des peines de prison et un debriefing serré, mais aussi un accompagnement psycho-social et un plan de réinsertion professionnelle». «J'ai passé jusqu'à 8 heures par jour avec eux mais aussi avec leur famille, les responsables de mosquée, les employeurs, leurs amis, c'est un maillage», confie le mentor. Il annonce 43 départs en Syrie en 2013, seulement deux cette année.
Hamed Mekrelouf du PLAT (programme de lutte anti-terroriste) intervient dans les prisons à Toulon et Marseille. Lui ose évoquer directement le malékisme, «doctrine des plus douces et des plus justes de l'islam, avec un potentiel important d'adaptation à la modernité, que le salafisme wahhabite a éclipsée à partir de l'Arabie Saoudite dès la fin du 19e siècle». Hamed poursuit: «Ils ignorent tout cela. Je leur rappelle d'emblée les valeurs laïques et républicaines françaises, puis je leur raconte une histoire de la religion musulmane depuis le début jusqu'à nos jours. Ensuite, je leur parle du granddjihad, celui que j'ai fait dès 30 ans en étudiant, en trouvant un travail et en faisant des enfants. C'est une bonne entrée en matière qui les interpelle». «La radicalisation, enchaîne Alain Ruffion, signifie à leurs yeux passer du dérisoire au grandiose. C'est une régression archaïque qui court-circuite l'intégration. Nous les réancrons sur les points positifs familiaux et socio-culturels».
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