Derrière les agressions de femmes à Cologne, un choc des cultures?
Migration
L’agression de centaines d’Allemandes par des groupes de dizaines d’hommes officiellement «originaires d’Afrique du Nord et du monde arabe» a scandalisé l’Europe. Comment l’expliquer? Par un mépris de la femme propre à certaines sociétés musulmanes?

«Je ne m’attendais pas à un dérapage aussi scandaleux.» Directeur du Centre des migrations globales à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Vincent Chetail avoue sa stupéfaction devant les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne, l’agression de centaines d’Allemandes par des groupes de plusieurs dizaines d’hommes officiellement «originaires d’Afrique du Nord et du monde arabe». Des forfaits d’autant plus frappants qu’ils se sont reproduits, à une échelle moindre, dans d’autres villes du nord de l’Europe. Alors, comment expliquer le phénomène? Par un choc des cultures, une conception très différente des rapports entre hommes et femmes, comme cela est souvent avancé?
Ancien directeur de l’Institut d’ethnologie de Neuchâtel et spécialiste de l’Afghanistan, Pierre Centlivres met tout de suite en garde contre les généralisations. «Ce qui s’est passé est incontestablement grave, observe-t-il. Mais les coupables se comptent par centaines quand les requérants d’asile musulmans arrivés en Allemagne cette année se chiffrent en centaines de milliers. L’idée d’un choc des cultures est d’autant plus abusive que ces immigrants ont un rapport à l’islam très variable. Nombre de jeunes Afghans arrivés récemment en Suisse fuient par exemple le fondamentalisme et apprécient la possibilité de vivre à l’occidentale, sans être contraint de faire leurs prières ou de cacher leur femme.»
Si les événements de la Saint-Sylvestre s’expliquaient par un choc des cultures entre les valeurs musulmanes et les valeurs occidentales, nous aurions dû connaître ce type d’incidents depuis bien longtemps
L’immigration musulmane a «ses millésimes» clairement différenciés, continue Pierre Centlivres. De Turquie sont ainsi arrivés «des kémalistes buveurs de bière», puis leurs enfants plus attachés à la pratique religieuse. D’Afghanistan, des membres de la famille royale ont précédé des victimes du communisme, des communistes et, aujourd’hui, des réfugiés de guerre, parmi lesquels figurent des chiites aussi bien que des sunnites. «Si les événements de la Saint-Sylvestre s’expliquaient par un choc des cultures entre les valeurs musulmanes et les valeurs occidentales, nous aurions dû connaître ce type d’incidents depuis bien longtemps, insiste Vincent Chetail. Or, ils sont sans précédent.»
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Il n’empêche que l’image de la femme la plus souvent défendue par l’islam est très différente de celle qui s’est imposée en Occident. «La musulmane a traditionnellement pour attribution la gestion de la sphère domestique, explique Pierre Centlivres. Cela induit une certaine vision, plus protectrice, de la condition féminine. Mais, là encore, les conceptions varient grandement entre ceux qui estiment que les femmes sont responsables de leur foyer et ceux qui jugent qu’elles lui sont soumises.»
En consommant de l’alcool et en s’attaquant à des femmes, les auteurs des agressions de Cologne ont violé deux de leurs propres tabous
La femme est-elle moins respectée dans le monde islamique que dans les pays de tradition chrétienne? «Les musulmans vous diront fréquemment le contraire, répond l’ethnologue. Nombre d’entre eux considèrent que leur culture les respecte davantage que ne le fait la société occidentale moderne.»
Malentendus et tabous
C’est dans le domaine sexuel que le malentendu paraît le plus évident. «Les Occidentales sont perçues dans certains pays musulmans comme des femmes faciles, reconnaît Pierre Centlivres. Une représentation qui émane moins de la culture islamique que de la rumeur. Mais il existe un abîme entre la piètre image que l’on peut avoir de quelqu’un et l’agression de cette même personne. En consommant de l’alcool et en s’attaquant à des femmes, les auteurs des agressions de Cologne ont violé deux de leurs propres tabous.»
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Le malentendu culturel n’est sans doute pas le facteur prépondérant des violences de la Saint-Sylvestre, qui peuvent aussi s’expliquer largement par le déracinement, le manque de perspectives et la détresse sexuelle de nombreux jeunes immigrés, sans oublier l’appartenance de certains à des bandes criminelles – selon la police de Cologne, 40% des Marocains et des Algériens récemment débarqués dans l’agglomération ont commis des délits au cours de leur première année de séjour, contre 0,5% des Syriens. Il n’en reste pas moins que l’incompréhension peut peser dans certains cas et, en ce sens, mérite d’être prise en compte.
«Des mesures extrêmement volontaristes doivent être prises dans le domaine de l’information aux migrants, assure Etienne Piguet, professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et vice-président de la Commission fédérale des migrations. Il faut poser les règles dès l’arrivée, et ce pour deux raisons. Pour renseigner les nouveaux venus les plus dépourvus d’instruction, bien entendu. Mais aussi pour pouvoir sanctionner d’autant plus strictement les abus, nul ne pouvant prétendre à l’ignorance.»
Le rôle des immigrés de longue date
D’autres moyens peuvent être déployés par la suite. Pierre Centlivres insiste sur l’importance des cours de langue dans l’intégration des étrangers. Un apprentissage qui, selon sa propre expérience, ouvre la voie à de précieux échanges sur toutes sortes d’aspects de la vie quotidienne, les vêtements, l’habitation, le rapport au voisinage, etc. L’ethnologue estime également que les immigrés de longue date sont très bien placés pour initier les nouveaux venus à leur terre d’accueil. Mais cela ne va pas toujours tout seul. Les anciens, lorsqu’ils ont consenti de gros efforts pour se bâtir une nouvelle vie, ne voient pas toujours d’un bon œil les seconds, qui «risquent de tout gâcher». Et les jeunes ont rarement pour premier réflexe de se ruer chez leur imam et de lui demander des leçons de sagesse.
«Une initiation est utile à certains types de population, avertit Etienne Piguet. Mais, dans d’autres cas, elle tombe vite dans l’infantilisme et le ridicule.» Un jeune Algérien connaît parfaitement les codes occidentaux et n’a pas besoin d’être instruit à leur propos. S’il se met à violer des règles, c’est en toute connaissance de cause. L’information aux migrants ne représente pas un remède miracle. Mais elle a l’avantage d’être facile à administrer. Bien plus facile que d’autres parades à d’autres facteurs de troubles comme le sous-emploi et le manque de perspectives professionnelles.