Cette fois-ci, c'est acquis: Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, va quitter le gouvernement. La nouvelle, émanant de sources proches du pouvoir, ne devrait être confirmée officiellement que ce mardi. D'autant que se pose au premier ministre un double problème: comment le remplacer? A ce sujet, un nom circule: celui d'Alain Richard, ministre de la Défense, dont la fermeté et les convictions sont bien connues. Mais on parle encore de Jean Glavany (Agriculture) ou de Jean-Jacques Queyranne, qui assura en son temps l'intérim du ministre alors dans le coma. D'autre part, l'équilibre de la gauche plurielle n'est pas sans poser la question de la présence nécessaire, en son sein, d'un représentant du parti du ministre – le Mouvement des citoyens. On en saura davantage aujourd'hui.

Jeu de cache-cache

Décidément, dans l'art du suspense, Jean-Pierre Chevènement est devenu un maître incontesté. Depuis des semaines que le ministre de l'Intérieur faisait entendre sa propre musique sur la politique corse du gouvernement, il n'était pas de jour que la presse ne claironne son départ «imminent». On attendait un face-à-face avec le premier ministre durant le week-end: il n'a pas eu lieu. On pensait inéluctable l'annonce de sa démission lundi. Elle ne s'est confirmée que par doses homéopathiques, pour être enfin donnée, officieusement. Lundi matin, Lionel Jospin a reçu son vieil ami Jean-Pierre dans la résidence des premiers ministres à Versailles. Il n'en a rien filtré. Mais place Beauvau, siège du Ministère de l'intérieur, une partie du personnel faisait déjà ses valises et un déjeuner a réuni le ministre et ses plus proches conseillers, auxquels il aura fait part de sa décision.

En fait – sur le mode «Madame se meurt, Madame est morte» – s'est joué un petit jeu de cache-cache entre le chef du gouvernement et son encombrant second. Pas de doute: Lionel Jospin n'entend pas reculer d'un pas dans la mise en œuvre de la politique qu'il a engagée en Corse. Lundi, le premier secrétaire du PS n'a pas laissé planer le moindre doute là-dessus: «C'est la responsabilité de Jean-Pierre Chevènement de savoir s'il entend rester au gouvernement pour mettre en œuvre une politique qui a été délibérée en commun», estime François Hollande, qui a ajouté: «Quelle que soit sa décision, nous la respecterons, mais c'est lui qui la prendra.» Il l'a prise donc, sans renoncer à ses convictions.

Au vrai, il devenait de plus en plus inacceptable qu'un des ministres les plus directement concernés par le dossier corse pût rester en poste en brocardant, à chaque occasion, les choix de la majorité. Mais il est également vrai qu'en termes d'équilibre de majorité plurielle, Lionel Jospin était fort embarrassé. Non seulement, Jean-Pierre Chevènement est un ami très proche. Mais le premier ministre avait besoin de cet homme pour le casting de son équipe, où il occupait une place éminente, que saluent les sondages d'opinion. Il y jouait un rôle irremplaçable de contrepoids, tant à l'endroit du courant libéralo-fabiusien que du versant le plus à gauche de la majorité.

Autres départs

A l'heure où d'autres «éléphants» du gouvernement s'en vont – Elisabeth Guigou à Avignon, Martine Aubry à Lille, et peut-être Dominique Voynet à Dole –, il n'était pas bon que cette forte personnalité s'efface. Ni certain que Jospin ne fût pas disposé à conserver ce rebelle au sein de son équipe: manière de faire entendre aux nationalistes corses qu'il a les moyens, le cas échéant, de tenir deux fers au feu.

Pour sa part, Jean-Pierre Chevènement a longtemps fait mine de tergiverser. A l'image du Parti communiste, son parti a tout à perdre du rejet dans les ténèbres du dehors. Car Chevènement, c'est le Mouvement des citoyens. Et l'on peut s'attendre à ce que Lionel Jospin choisisse un autre représentant du MDC pour figurer dans son équipe. Simultanément, le ministre de l'Intérieur a clairement joué sur le temps, car se dessine vis-à-vis du plan Jospin un mouvement de mécontentement, voire de rejet, qui, de la presse, gagne la majorité elle-même. Et cette grogne, aux accents divers, pouvait faire le lit du courant anticorse qu'incarne Chevènement.