La Pologne, mais pas seulement. Depuis l'aéroport de Szymani, en effet, le Boeing 737 utilisé par la centrale de renseignement américaine pour transférer ces prisonniers particuliers d'un endroit à un autre s'est aussi régulièrement posé en Roumanie, sur la base aérienne Mihail Kogalniceanu, près de la ville de Constanza sur la mer Noire.
Pologne, Roumanie: HRW met ainsi un nom sur des pays que le Washington Post n'a pas souhaité révélés pour des raisons de sécurité - quand bien même il affirme les connaître - dans la grande enquête publiée mercredi sur le réseau de «sites noirs» opérés par la CIA depuis quatre ans dans le cadre de la «lutte contre le terrorisme». Des pays européens, donc, et non plus ces pays arabes amis de Washington - Maroc, Egypte, Jordanie - connus de longue date pour avoir joué les supplétifs en matière de torture.
Y en a-t-il d'autre? C'est plus que vraisemblable puisque le quotidien américain parle de «plusieurs démocraties d'Europe de l'Est». Ainsi la base de Taznar, en Hongrie, a servi pour l'entraînement de supplétifs irakiens. D'une manière générale, il est de notoriété publique que ces nouveaux venus dans l'OTAN ont été courtisés par les Etats-Unis, qui projettent d'y établir de nouvelles bases militaires dans un très proche avenir. Et HRW, qui s'apprêtait à sortir un rapport sur ce thème, poursuit sa traque.
De Sofia à Varsovie, en passant par Bucarest, les intéressés ont tous démenti hier les soupçons qui pèsent sur eux. Les Tchèques ont affirmé pour leur part qu'ils avaient bel et bien été approchés pour héberger des centres de détention, mais qu'ils avaient décliné... Bref, gros malaise en Europe, où la Commission de Bruxelles fort embarrassée a fait savoir que sa direction générale Justice allait mener «des recherches au niveau technique» sur ces informations.
Ces recherches, si elles confirment les informations sur ce nouveau «goulag», comme l'appelle Amnesty International, déboucheront-elles sur une «action plus politique» à laquelle Bruxelles se refuse «à ce stade»? HRW l'espère bien. «Nous sommes plus que sceptiques sur les capacités de l'administration américaine à se réformer en matière de respect des Convention de Genève», affirme John Sifton, en charge des questions de terrorisme et de contre-terrorisme au bureau new-yorkais de l'organisation.
Le débat, pourtant, fait rage actuellement à Washington sur ce thème entre tenants d'un retour au respect des Conventions de Genève et tenants d'une exemption pour la CIA, qui devrait, selon ces derniers, être autorisée à torturer en toute «légalité». «Le moment est donc venu pour l'Union européenne d'agir et de demander que toute la lumière soit faite sur cette affaire qui est un outrage à ses valeurs», poursuit John Sifton, qui compte aussi sur le Congrès et le CICR pour inverser la tendance de ces quatre dernières années.
Le CICR, justement, obtiendra-t-il l'accès à la centaine de prisonniers des «sites noirs»? Manifestement, on en est encore très loin. Pour l'heure, en effet, l'institution genevoise se bat sans succès pour obtenir notification de ces détentions. Quant à l'ONU, c'est encore une autre histoire. Manfred Novak, le rapporteur spécial sur la torture, affirme que jusqu'à mardi, il n'avait jamais entendu parler de tels lieux sur le sol européen. Inquiétant pour quelqu'un qui, avec d'autres rapporteurs spéciaux, se bat pour être autorisé par Washington à visiter les détenus de... Guantanamo.