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Deux ans après l'enlèvement d'Ingrid Betancourt, l'appel des proches des séquestrés colombiens

Les familles d'une cinquantaine d'otages politiques et militaires colombiens font pression sur le gouvernement pour ouvrir des négociations. Le président Alvaro Uribe, appuyé par Washington et une partie de la population, refuse de négocier avec les «terroristes», préférant la voie militaire

Elles étaient les premières arrivées, samedi, sur l'avenue de Bogota. Les familles de soldats et policiers prisonniers des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, 17 500 combattants) s'étaient armées des photos de leurs fils ou époux pour assister à la manifestation de soutien à Ingrid Betancourt. «Ils les ont pris vivants, nous les voulons vivants!» scandaient-elles. Toutes savaient que, deux ans auparavant, le 23 février 2002, celle qui était alors candidate à la présidentielle avait été enlevée par les FARC sur une route poussiéreuse du sud de la Colombie. Mais les familles venaient aussi pour rappeler que leurs proches, officiers ou sous-officiers, se trouvaient depuis plus longtemps encore captifs dans la jungle. «Mon fils a été pris le 3 mars 1998, a témoigné Virginia Franco. Il servait la patrie, le gouvernement doit obtenir sa libération.»

Renforcement de l'armée

Avec 33 autres militaires et policiers, et une vingtaine d'élus et politiciens comme Ingrid Betancourt, son fils a rejoint une liste d'otages que les FARC n'acceptent de relâcher que contre leurs combattants incarcérés. Le gouvernement du président conservateur, Alvaro Uribe, s'est toujours opposé à cet échange. «On ne négocie pas avec des terroristes», a-t-il encore rappelé lors d'une visite en Europe, début février. Engagé dans un renforcement sans précédent de l'armée, le chef d'Etat préfère attaquer. Avec la création de bataillons de haute montagne dans les Andes, le déploiement d'unités mobiles et l'extension de la présence militaire aux villages les plus reculés, il a déjà rogné l'espace de la guérilla.

Les zones rurales restent souvent aux mains des FARC ou de l'autre guérilla d'extrême gauche, l'Armée de libération nationale (ELN), mais les combats s'y sont intensifiés. Ce week-end, selon des chiffres de l'état-major, quelque 50 combattants seraient morts, entre militaires, membres des FARC et paramilitaires anti-guérilla des Autodéfenses unies de Colombie (AUC, 10 000 à 15 000 hommes), pourtant en négociations avec le pouvoir.

Pour libérer un groupe d'otages, le président Uribe a déjà essayé la manière forte, le 5 mai de l'an dernier, à Urrao, dans le nord du pays. Mais l'armée est arrivée trop tard pour sauver dix kidnappés, abattus par les FARC à l'approche des hélicoptères; seuls deux soldats ont échappé au carnage. «Nous refusons une nouvelle opération, dit Virginia Franco. Ce serait comme signer l'arrêt de mort de mon fils.» C'est également ce que craignent les familles de trois sous-traitants américains du Pentagone, dont l'avion a été abattu par les FARC alors qu'ils effectuaient une mission de surveillance antidrogue dans le sud de la Colombie, le 13 février de l'an dernier.

Pour les Etats-Unis, engagés directement en Colombie dans la protection d'infrastructures pétrolières, ainsi qu'à travers des centaines de mercenaires de «compagnies militaires privées», l'inclusion des trois hommes sur la liste des otages a constitué une gifle. Mais l'intervention immédiate de milliers de soldats colombiens, soutenus par une cinquantaine d'agents de renseignement de Washington, n'a servi à rien. «Ce n'est pas du cinéma, si vous tentez de nous libérer, nous mourrons tous», jette un des trois hommes, dans la seule vidéo qu'ont laissé filtrer ses ravisseurs.

Depuis l'échec d'Urrao, les familles des otages luttent désespérément pour un accord. Celles des militaires manifestent tous les mardis devant le parlement, à une portée de mégaphone du palais présidentiel, pour exiger des négociations. «Mais l'opinion est très divisée», affirme un sénateur. Beaucoup s'opposent, comme l'a dit un ministre, à échanger «des délinquants contre des honnêtes gens». «C'est la position de ceux qui ne souffrent pas, dont les enfants riches sont à Miami et pas au service militaire», répond une proche de soldat enlevé. Elle-même fonde ses espérances dans une commission de l'Eglise, qui a rencontré les FARC à deux reprises depuis le mois d'octobre. Les prélats en ont tiré les bases d'un accord, présentées depuis à Alvaro Uribe. Même si les désaccords sont encore nombreux, «nous pourrions arriver à une libération cette année», avance le prêtre Dario Echeverri.

Dans cette attente de plusieurs années, les proches d'Ingrid Betancourt craignent l'intransigeance des parties. Pour son mari, Juan Carlos Lecompte, «nous ne reverrons pas Ingrid en liberté tant qu'Uribe sera au pouvoir».