La disgrâce de Zhou Yongkang
chine
La purge actuelle, qui touche l’ancien «prince rouge» Bo Xilai en attente de son verdict, pourrait atteindre l’un des personnages les plus influents du régime: l’ex-chef des services secrets

Les règlements de comptes au sein du régime chinois sont loin d’être terminés. Alors qu’on attend dans les jours qui viennent le verdict du procès du trop ambitieux «prince rouge» Bo Xilai, traduit en justice fin août pour «corruption et abus de pouvoir», c’est maintenant son allié au sommet de la hiérarchie communiste, l’ancien chef du KGB chinois Zhou Yongkang, 70 ans, qui risque sa tête.
Selon de multiples sources citées par la presse de Hongkong, souvent très bien informée, l’actuelle équipe dirigeante a donné son feu vert pour enquêter sur des faits de corruption concernant Zhou Yongkang, lors d’une réunion secrète qui s’est tenue cet été dans la station balnéaire de Beidaihe. C’est dans cette villégiature estivale que, depuis l’époque de Mao, les grandes décisions sont prises.
Au départ, le pétrole
Les purges qui naguère prenaient la forme d’attaques d’ordre idéologique ont été, depuis vingt ans au moins, avantageusement remplacées par l’imputation de «crimes économiques». La manœuvre est d’autant plus aisée que pratiquement aucun officiel chinois ne peut justifier de son train de vie. C’est surtout vrai à l’endroit de Zhou Yongkang, qui, avant d’être aux manettes de l’Etat-policier chinois, a été ministre du Pétrole dans les années 1980, avant de diriger le lucratif complexe pétrolier étatique de la China National Petroleum Corporation (CNPC). Son fils, Zhou Bin, a la réputation de s’être considérablement enrichi grâce à son père.
C’est de ce secteur que proviennent les éléments qui paraissent confirmer sa disgrâce. Fin août, la Commission centrale de discipline du Parti annonce que l’un des vice-directeurs de la CNPC vient d’être «placé sous enquête» pour «graves violations de la discipline» – c’est-à-dire pour corruption. Le lendemain, trois autres pontes de l’industrie du pétrole disparaissent à leur tour dans les lieux secrets où le Parti fait parler ceux qu’il cible. Tous les quatre ont pour point commun d’avoir travaillé sous les ordres de Zhou Yongkang. Dimanche dernier, l’agence Chine nouvelle a annoncé qu’un cinquième homme lié à Zhou Yongkang venait d’être «placé sous enquête». Non des moindres, puisqu’il s’agit de Jiang Jiemin, l’un des 205 membres du Comité central du Parti. Il avait été promu en mars à la tête du puissant conglomérat, qui gère les plus grosses entreprises d’Etat du pays.
La Commission centrale de la discipline du Parti s’est rapprochée de sa cible comme un filet de chalut resserrant ses rets. Il y a plus d’un an déjà, des dizaines d’officiels et d’hommes d’affaires du Sichuan ont été détenus et interrogés par des inspecteurs en civil à propos des activités de Zhou Yongkang alors qu’il était secrétaire du Parti de cette province, entre 1999 et 2002. Deux fonctionnaires du Sichuan promus durant le mandat de Zhou ont en outre été «placés sous enquête» – c’est-à-dire enfermés dans les cellules capitonnées du Parti pour qu’ils avouent et dénoncent.
Règle d’or
Le paradoxe est, bien entendu, que Zhou Yongkang a contribué à l’instauration et longtemps dirigé ce système d’interrogatoires extrajudiciaires. Jusqu’à sa mise à la retraite lors du 18e Congrès du Parti en novembre 2012, Zhou était chef des services secrets, de la police, des forces paramilitaires, des tribunaux, et maître d’œuvre de la répression des dissidents. Au sein du comité permanent du Politburo de neuf hommes au sommet du Parti dont il était membre, il existe une règle d’or : l’immunité. Le tabou sera-t-il brisé avec Zhou Yongkang, au risque de voir les luttes de pouvoir se multiplier à l’avenir ? «Zhou Yongkang a accumulé des dossiers sur tout le monde… Il est trop dangereux et je ne crois pas que [le président] Xi Jinping osera s’en prendre à lui directement. Xi veut seulement casser son influence», suppute une journaliste pékinoise.
Zhou a eu le tort d’être le seul des neuf du sommet du Politburo à s’être opposé à la disgrâce de Bo Xilai. Pis, selon la presse de Hongkong, il aurait fomenté avec lui un projet de putsch contre Xi Jinping, qu’il considérait comme «trop faible pour diriger la Chine». Il souhaitait que Bo Xilai le remplace à son haut poste puis, en temps voulu, faire fuiter des dossiers compromettants sur la fortune de Xi Jinping afin d’écarter ce dernier du pouvoir suprême, au profit de Bo Xilai.
Cette audacieuse version des faits reste hypothétique. Il demeure toutefois que des informations sur la fortune de la famille de Xi Jinping ont effectivement fuité quelques mois après l’annonce de la disgrâce de Bo Xilai début 2012. Ces gênantes révélations ont-elles été imputées à Zhou Yongkang ? Et singulièrement, lors de son procès le mois dernier, Bo Xilai a démenti avoir voulu s’emparer du pouvoir. «Certains disent que je voulais être premier ministre. C’est totalement faux», a-t-il déclaré au tribunal. Cette phrase a été censurée dans le compte-rendu officiel, tout comme la suivante, retranscrite de mémoire par plusieurs personnes présentes au procès. «Certains disent aussi que je voulais être le [Vladimir] Poutine chinois, a ajouté Bo Xilai, mais ça aussi, c’est faux.»