Le comité Nobel a pour la première fois de son histoire délivré son prix de la paix à un Chinois, l’intellectuel et dissident Liu Xiaobo. Ignorant les pressions de Pékin, le cénacle norvégien récompense ainsi le principal auteur d’un texte appelant à la démocratisation du régime. Un geste qui lui a valu une condamnation à onze ans de prison pour «incitation à la subversion de l’Etat». Ce texte, la «Charte 08», inspirée par la «Charte 77» des dissidents tchécoslovaques de la fin des années 1970, a été signé par 300 intellectuels et des milliers d’internautes à l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme en décembre 2008.

Le choix du comité Nobel représente un coup dur pour le régime chinois qui tente depuis des années de propager l’image d’un pouvoir harmonieux faisant au mieux pour assurer le bien-être de sa population. Pékin cherche également à imposer en Chine, en Asie, et parfois au-delà, un nouveau «modèle» qui se pose en alternative à l’universalisme de valeurs décrites comme occidentales. Ce prix de la paix rappelle au monde, qu’en Chine, de nombreux individus défendent une autre vision de la modernité pour leur pays. Il permettra surtout de faire connaître à un plus large public en Chine, l’existence des voix dissidentes étouffées par le mur de la propagande ou ceux de la prison.

Ce prix est toutefois un pari risqué. Il pourrait tout aussi bien braquer un peu plus les élites chinoises acquises au parti communiste dans leur repli nationaliste. La presse chinoise s’interrogeait ces derniers jours sur l’absence de la Chine dans les Nobel scientifiques. Après un prix de littérature décerné en l’an 2000 à l’écrivain vivant en exil Gao Xingjian – ignoré par Pékin et la presse chinoise – voici un prix de la paix qui pourrait être perçu comme un nouveau geste de défi dans une logique de confrontation des valeurs et des systèmes politiques.

Plusieurs noms d’opposants chinois ont circulé pour l’obtention de ce prix dont ceux de Hu Jia (emprisonné), Gao Zhisheng (disparu) et des mères de la place Tiananmen. Liu Xiaobo représente l’archétype de l’intellectuel qui n’a jamais transigé avec le pouvoir (il vit de ses écrits publiés dans la presse hongkongaise) sans pour autant entrer dans une opposition stérile. Dans ses textes, il s’appuie en permanence sur le droit et les principes qui fondent la démocratie. Militant, il était de ceux, en 1989, qui tentèrent de faire évacuer les étudiants de la place Tiananmen avant l’intervention sanglante de l’armée. Il a déjà payé son combat de plusieurs séjours en prison ou en camp de rééducation.

Lors de son procès, le 23 décembre 2008, Liu Xiaobo s’est défendu en expliquant avoir «exercé son droit à la liberté d’expression, mais n’a pas admis avoir tenté de renverser le pouvoir». En prison, il a écrit une lettre à ses geôliers expliquant qu’il n’avait rien à leur reprocher et que sa foi dans la démocratie demeurait intacte.