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A dix jours de son aboutissement, le projet de Constitution européenne divise toujours

Réunis à Naples en fin de semaine dernière, les chefs de la diplomatie européenne se sont quittés samedi sur une perspective très incertaine d'accord lors du sommet des 12 et 13 décembre à Bruxelles.

Le conclave de Naples sur la future Constitution pour l'Europe élargie, qui s'est achevé samedi, a planté le décor du Sommet de Bruxelles des 12 et 13 décembre, qui devra accoucher du texte. Un décor flou: nul ne se hasarde à dire quand cette ultime échéance se terminera, puisque les vingt-cinq pays ne sont toujours pas parvenus à rapprocher leurs points de vue. A l'issue de deux jours de discussions intergouvernementales et d'une matinée entière – celle de samedi – consacrée aux sujets institutionnels qui fâchent, les ministres des Affaires étrangères européens affichaient des positions contrastées jusque dans leur évaluation des travaux.

Joschka Fischer, le ministre des Affaires étrangères allemand, se disait ainsi plus pessimiste qu'à son arrivée à Naples. «C'est pourtant le seul qui a essayé d'élever un peu le débat», commentait un diplomate. «Il a rappelé que ce dont on discutait ici devait découler de l'image qu'on se faisait de l'Europe à vingt-cinq et qu'il fallait répondre à la question: comment fonctionner ensemble?» Malgré l'amertume allemande, Dominique de Villepin, son homologue français, voulait en revanche croire à une «dynamique» des négociations. Louis Michel, le ministre belge, très prudent, déclarait être «un petit peu moins pessimiste» qu'avant: on distingue mieux, a-t-il dit, «l'espace d'élasticité des différentes positions». Seul Franco Frattini, qui, en tant que chef de la diplomatie italienne, a dirigé à Naples les travaux de ses pairs, affichait un optimisme de rigueur. Mais quels que soient les efforts que le ministre italien a fournis jusqu'à présent, il reviendra désormais à Silvio Berlusconi de trouver, dans quinze jours, comment sortir de l'impasse.

Des observateurs faisaient remarquer que lors du Sommet de Nice, il y a trois ans, la principale pierre d'achoppement était déjà le poids de chaque pays au Conseil, soit le nombre de voix dont chacun disposera pour défendre ses idées lors des votes entre Etats. Sur la question du nombre de commissaires, la volonté des petits pays de conserver au moins un représentant au sein de l'exécutif bruxellois pour doter le collège de quelque 31 membres, les grands réclamant, dans ces conditions, de conserver leurs deux commissaires. L'ex-président français Valéry Giscard d'Estaing et ses conventionnels avaient pourtant imaginé une Commission formée de quinze commissaires dotés d'un droit de vote. Tant dans les négociations que dans les pistes explorées pour aboutir, les comparaisons avec le triste Sommet de Nice se multiplient. La formule «Nice bis», qui se murmure déjà sous forme de boutade dans les couloirs de la négociation, pourrait rapidement fleurir. Qu'il s'agisse de déplorer les développements actuels, côté français ou allemand, ou de s'en réjouir, côté polonais ou espagnol.

Même si, à quinze jours du compromis final, la situation peut sembler alarmante, elle n'est pas complètement sans espoir. Manifestement, dans le jeu de poker menteur dans lequel sont entrés les uns et les autres, tous les compromis dépendent les uns des autres. Louis Michel a rappelé que sur tous les points importants, la position belge était susceptible de bouger «en fonction du paquet global institutionnel». «Les pessimistes appellent ça du marchandage», a-t-il dit, préférant pour sa part parler de «compromis». Jack Straw, le secrétaire au Foreign Office, a utilisé pour sa part une image encore plus parlante: en comparant les sujets institutionnels à un «rubik's cube». Reste que ce même Jack Straw n'est peut-être pas étranger à l'amertume de Joschka Fischer, ardent défenseur de la Convention. Le ministre britannique, rappelant que le Traité de Nice serait de toutes les façons en vigueur jusqu'en 2009, a estimé qu'«on pourrait alors décider s'il marche ou pas».

En clair, le ministre britannique – se rapprochant des Polonais et des Espagnols – a jugé qu'on pourrait se contenter à Bruxelles d'une clause de rendez-vous pour trancher sur le système de vote. Plusieurs diplomates ont noté que cette idée provoquait l'ire de Paris et Berlin. Il n'empêche que, s'il s'avère impossible de conclure à Bruxelles, les Européens pourraient alors, sur des points trop épineux, décider de ne rien décider pour l'instant.