Ce sont quatre minuscules îles, habitées par moins de 15 000 personnes, mais elles empoisonnent les relations russo-japonaises depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Occupées par les Soviétiques au lendemain de la défaite japonaise, les îles Kouriles du Sud sont, depuis, revendiquées par Tokyo. Soixante-cinq ans après la guerre, Russes et Japonais n’ont pas encore signé de traité de paix en raison de ce conflit concernant les «Territoires du Nord», selon la dénomination japonaise de l’archipel, une région isolée mais riche en ressources halieutiques.

Quatre îles contestées

Dmitri Medvedev est le premier chef d’Etat russe (ou soviétique) à fouler le sol des îles Kouriles. «Je n’ai pas à le cacher, je veux que les nôtres [les Russes] restent ici», a affirmé lundi le président lors d’une rencontre avec la population de Kunashir, l’une des quatre îles contestées de l’archipel. Les 15 000 Japonais qui habitaient l’archipel avant-guerre ayant été expulsés vers le Japon par les Soviétiques, la population actuelle est essentiellement russe.

Le déplacement du chef du Kremlin – une escale de trois heures – a été immédiatement condamné par Tokyo. Une visite «très regrettable» pour le premier ministre Naoto Kan, tandis que le Ministère japonais des affaires étrangères, qui a convoqué l’ambassadeur de Russie pour explications, s’est fait répondre qu’il s’agissait d’une affaire intérieure.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a qualifié d’«inacceptable» la réaction japonaise. «C’est notre territoire, le président a fait un déplacement dans une région russe», a précisé le ministre des Affaires étrangères, qui pourrait également convoquer l’ambassadeur du Japon à Moscou.

Régulièrement évoquée lors des rencontres bilatérales, la question des Kouriles n’a jamais été réglée. Boris Eltsine avait évoqué un temps le retour de l’archipel aux Japonais, sans succès, et Vladimir Poutine, alors président, avait proposé à Tokyo de reprendre le contrôle de deux des quatre îlots, une suggestion rejetée par le Japon.

L’arrivée de Dmitri Medvedev semblait annoncer un certain réchauffement avec Tokyo. Le premier ministre japonais avait affirmé en juin dernier que «de bonnes conditions étaient en place» pour «avancer avec la Russie» sur toutes les questions en suspens, notamment sur le dossier des Kouriles.

Contexte géopolitique tendu

Comment expliquer le changement de ton, alors que Dmitri Medvedev a annoncé, dès septembre, sa volonté d’effectuer un déplacement officiel «très bientôt» dans les îles Kouriles? La presse russe jugeait hier que la réaction – outrée – des Japonais à cette annonce aurait convaincu le président de programmer la visite, pour ne pas laisser l’impression que Tokyo pouvait interférer sur une question de politique intérieure.

La visite décriée de Dmitri Medvedev intervient également dans un contexte géopolitique tendu autour de l’espace maritime japonais. Le mois dernier, un bateau de pêche chinois était interpellé par les gardes-côtes japonais près d’un ensemble d’îlots revendiqués par les deux pays.

Le déplacement officiel du président Medvedev à Pékin, au moment même de cette crise, avait été l’occasion pour les deux capitales de signer une déclaration évoquant la «résistance conjointe» (durant la guerre) «contre les fascistes et les militaristes», «fondement de notre relation stratégique actuelle». Un ton pour le moins indélicat à l’égard de Tokyo, alors que Dmitri Medvedev est attendu au Japon le 12 novembre pour le sommet économique annuel de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC)…