Au moment où Donald Trump dînait jeudi soir avec son homologue chinois Xi Jinping à Mar-a-Lago, le président américain avait déjà pris la décision de bombarder la base aérienne de l’armée syrienne. Il venait d’avoir une rencontre avec son Conseil national de sécurité, dont son controversé conseiller stratégique Stephen Bannon a été exclu. L’attaque a en fait eu lieu pendant le repas. Elle a du coup éclipsé la rencontre au sommet avec son hôte chinois, que le président américain avait qualifiée de «très difficile».

Retournement de situation

Avec ces frappes américaines, Donald Trump surprend. Il offre une volte-face spectaculaire, lui qui se refusait jusqu’ici à toute intervention en Syrie et laissait entendre encore tout récemment qu’il semblait se satisfaire de laisser Bachar el-Assad au pouvoir. En prouvant que l’attaque chimique imputée au régime syrien était la «ligne rouge» à ne pas franchir, il critique au passage Barack Obama: son prédécesseur avait renoncé à bombarder la Syrie en 2013, après une attaque chimique qui avait près de 1400 morts. Donald Trump capitalise sur l’horreur et l’émotion suscitée par les images d’enfants gazés.

Son intervention, saluée par les alliés de Washington, lui permet de momentanément faire passer au second plan l’affaire de l’ingérence russe dans la campagne électorale, qui ne cesse de rebondir et empoisonne son début de mandat. Dernier épisode en date: Devin Nunes, le président de la Commission du renseignement du Congrès, contraint de se récuser. En provoquant une réaction courroucée de Vladimir Poutine, Donald Trump se défait des accusations de relations troubles avec Moscou. Les frappes américaines permettent également de masquer les difficultés du président américain sur le plan intérieur, avec la difficile confirmation de la nomination du juge Gorsuch à la Cour suprême, l’échec de l’abrogation de l’Obamacare et les tensions dans son entourage proche.

Partisans de l'«America First» déçus

Par son action, sa fermeté et sa réponse immédiate, Donald Trump parvient ainsi à redorer un peu son blason, et cherche à combattre l’impression de confusion et d’impréparation émanant de son administration. Mais il déçoit aussi sa base électorale: certains partisans peinent à se reconnaître dans cette intervention aux accents messianiques pour les enfants syriens. «Même de beaux bébés ont été cruellement assassinés dans cette attaque véritablement barbare. Aucun enfant de Dieu ne devrait avoir à subir une telle horreur», avait-il déclaré lors d’une courte intervention jeudi soir.

Jusqu’ici Donald Trump était clairement le président de l'«America First». Lors de son discours devant le Congrès, le 1er mars, il avait confirmé son orientation protectionniste et isolationniste: «Ma tâche ne consiste pas à représenter le monde, mais les Etats-Unis». Son action de jeudi soir marque un revirement, le président américain, qui se targue de réagir à l’instinct, endossant pour la première fois sa responsabilité de Commandant en chef des armées et justicier de l’ordre mondial.

Républicains satisfaits

Cette intervention armée peut aussi être vue comme un moyen de rallier des ténors du parti républicain sceptiques et déçus. Marco Rubio, un des animateurs de la fronde républicaine contre Donald Trump, se répand depuis jeudi soir en compliments alors qu’il n’avait pas hésité, plus tôt, à accuser le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, d’avoir «encouragé» Bachar el-Assad à lancer une attaque chimique dans son propre pays. Les sénateurs républicains John McCain et Lindsey Graham, des voix critiques à l’égard de Donald Trump mais partisans d’une intervention militaire musclée, se sont de leur côté fendus d’un communiqué commun pour saluer l’opération, «une première étape crédible».

Débats mouvementés en perspective

L’envoi inattendu des 59 missiles Tomahawk a pris le Congrès de court, divisé sur l’attitude à adopter face à ces actions militaires jugées anticonstitutionnelles. C’est la première fois que l’armée américaine s’attaque aux forces de Damas, et l’aval du Congrès est en principe exigé pour lancer des actions militaires. La Maison-Blanche préfère insister sur la nécessité de surprendre le régime syrien, jugeant «dans l’intérêt national vital des Etats-Unis de prévenir et d’empêcher la propagation et l’utilisation d’armes chimiques létales». Ces frappes interviennent alors que le Congrès se retire pour deux semaines de vacances. Les débats à venir s’annoncent mouvementés.

Stratégie exigée

Mais dans l’ensemble, Donald Trump reçoit des notes positives. Pour Paul Ryan, leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, l’action est «appropriée et juste», et doit même se poursuivre, «avec le Congrès»: «Ces frappes tactiques démontrent au régime Assad qu’il ne peut plus compter sur l’inaction américaine quand il commet des atrocités contre le peuple syrien». Sans surprise, les libertariens et les ultra-conservateurs du Freedom Caucus, frange la plus à droite du parti républicain, ont marqué leur désaccord. Ils sont déjà à l’origine de l’échec de l’abrogation de l’Obamacare et élargissent ainsi le fossé qui les sépare de Donald Trump. Pour le sénateur Rand Paul, l’action de Donald Trump est clairement anticonstitutionnelle. «Les Etats-Unis n’ont pas été attaqués», relève-t-il.

Du côté des démocrates, on applaudit le président, du bout des doigts. Le chef de la minorité au Sénat, Chuck Schumer, a jugé la réplique aux atrocités du régime syrien comme étant «une bonne chose». Mais il exige une stratégie et surtout la consultation du Congrès pour la suite des opérations. Pour rappel, lorsque Barack Obama avait ordonné des frappes contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie, en 2014, il l’avait également fait sans passer par le Congrès.


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