Dans l’Amérique post-11-septembre-2001, c’est un épisode qui laissera des traces. Lundi, devant une foule réunie sur un navire de la Seconde Guerre mondiale en Caroline du Sud, Donald Trump a appelé à «l’arrêt total et complet de l’entrée des musulmans aux Etats-Unis jusqu’à ce que les élus de notre pays comprennent ce qui se passe». Le candidat à l’investiture républicaine a fait un carton sur les réseaux sociaux. Parfait connaisseur du fonctionnement des médias qu’il considère pourtant comme de la «racaille», il a saisi la psyché américaine du moment.

L’attentat terroriste de San Bernardino de la semaine dernière en Californie qui a coûté la vie à 14 personnes a instillé chez les Américains un sentiment de vulnérabilité qu’ils n’avaient plus éprouvé depuis l’immédiat après-11-septembre 2001. Les Etats-Unis ont découvert avec effroi que le couple musulman radicalisé de San Bernardino, auteur présumé de la tuerie, a prêté allégeance à l’Etat islamique (EI). Selon le FBI, les deux terroristes auraient reçu sur un compte bancaire la somme de 28 000 dollars dont la source demeure encore inconnue. De plus, selon The Daily Beast, un rapport commandé par la Maison-Blanche aux renseignements américains qui aurait dû rester confidentiel prédit que l’EI va se répandre à travers le monde à moins qu’il subisse une perte importante de territoire en Irak et en Syrie. Il n’en fallait pas plus pour semer la panique outre-Atlantique. Un terreau favorable au populiste Donald Trump.

«Hystérie poujadiste»

En annonçant une mesure extrême à l’encontre de tous les musulmans, même des soldats américains adeptes de l’islam, le milliardaire new-yorkais a néanmoins provoqué un tollé national. Analyste politique invité sur CNN, Michael Weiss, auteur d’un livre sur l’Etat islamique ISIS, Inside the Army of Terror, a vécu trois ans en Europe. Les propos de Donald Trump rapprochent à ses yeux l’Amérique de la France de Marine Le Pen ou d’autres pays européens où l’extrême droite prospère. «Nous sommes dans une ère sombre de l’Histoire américaine», estime-t-il, accusant le candidat républicain en tête dans la plupart des sondages d’«hystérie démagogique et poujadiste». D’autres n’hésitent plus à traiter le milliardaire de fasciste.

Plusieurs candidats républicains à la Maison-Blanche et le président du parti Reince Priebus ont condamné sèchement les propos du New-Yorkais. L’épisode pourrait durablement ternir l’image du parti. Formant avec ces derniers un virtuel et illusoire front républicain, les démocrates ont aussi riposté. Le candidat présidentiel Bernie Sanders s’est fendu d’un twitt: «Les Etats-Unis sont forts quand nous sommes unis. Nous sommes faibles quand nous laissons le racisme et la xénophobie nous diviser.»

A l’image du Front national en France, Donald Trump s’adresse à un électorat remonté contre Washington et l’establishment politique, largué par la mondialisation et la transformation démographique des Etats-Unis. Il qualifie les dirigeants de l’Amérique de «stupides» et d’«incompétents». Devant les foules, il entonne la même antienne, soulignant que Barack Obama est un bon à rien. La rhétorique islamophobe du milliardaire a sapé le message qu’a transmis le président démocrate en prime time dimanche soir: «Pour réussir à vaincre le terrorisme, il nous faut rallier les communautés musulmanes en tant que nos alliés les plus fidèles, plutôt que de nous les aliéner par un processus de suspicion et de haine.»

Un discours contre-productif

Le discours islamophobe de Donald Trump, dénonce-t-on, nourrit l’idéologie funeste de l’Etat islamique. Or c’est précisément ce que la Maison-Blanche essaie d’éviter. L’ex-chef d’Al-Qaida en Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui, tué en 2006, avait qualifié l’invasion américaine de 2003 en Irak de «bénédiction». Barack Obama veut éviter de tomber dans ce piège. Pour lui, occuper l’Irak et la Syrie fait le jeu de l’EI prompt à recruter de nouveaux combattants.

Donald Trump n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà choqué en déclarant que les immigrants mexicains étaient des «violeurs», en promettant de construire un mur à la frontière des Etats-Unis qu’il ferait payer au gouvernement du Mexique et d’expulser les 12 millions de clandestins. Plus récemment, il a rappelé, bien que les faits aient été infirmés par quasiment tous les médias, qu’il avait vu des milliers de musulmans se réjouir de l’effondrement du World Trade Center en 2001.

Le commentateur Michael Weiss en est persuadé: Donald Trump est un «politique post-moderne». Peu importe ce qu’il dit, la véracité de ses propos, il sait surfer sur le mécontentement. Les médias, comme les politiques, n’ont pour l’heure pas trouvé la recette pour le mettre vraiment à l’épreuve. Son temps de parole sur les plateaux de TV est sans comparaison avec celui des autres candidats. Est-il arrêtable? A ce stade, personne ne s’aventure à faire un prognostic.