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A Donetsk, la survie sous les bombes

Le cortège des morts et des destructions s’allonge dans la capitale du Donbass cernée par l’armée ukrainienne. Des civils témoignent de leur calvaire

Des victimes d’un bombardement au pied d’un immeuble à Donetsk. — © Reuters
Des victimes d’un bombardement au pied d’un immeuble à Donetsk. — © Reuters

A Donetsk, la survie sous les bombes

Ukraine Le cortège des mortset des destructions s’allonge dans la capitale du Donbass cernée par l’armée ukrainienne

Des civils témoignent de leur calvaire

Katia et Dacha ont trouvé un filon. Un tuyau qui sort des entrailles d’une nouvelle construction et dispense un bien précieux: de l’eau. Car dans ce quartier de Kievski, celui qui jouxte l’aéroport de Donetsk, aux mains des troupes ukrainiennes depuis deux mois, l’eau manque déjà depuis six jours dans les hauts immeubles. «Ça, c’est pour la vaisselle, dit Dacha en montrant la première bonbonne qu’elle a remplie, ça, pour se laver. Il faut savoir être économe.» La guerre a bousculé les habitudes de la jeune femme de 26 ans, employée chez un grossiste. «Le soir, quand je quitte mon travail, vers 19 heures, plus aucun magasin n’est ouvert. Hier, la dernière pharmacie non-stop a fermé ses portes.» Ses parents ont quitté la ville. Elle est restée, et a été rejointe par son amie Katia, une typographe désormais au chômage.

Les deux jeunes femmes n’auraient jamais pensé connaître la peur, la mort et les pénuries. «Quand j’ai voté en avril lors du référendum pour l’indépendance de la région de Donetsk, je croyais que tout se passerait comme en Crimée [ndlr: la région d’Ukraine annexée par la Russie en mars]. Sans un coup de feu, sans une victime. Qu’on voterait et que maintenant, on serait Russes.» La faute à qui: «à Kiev», qui ne veut pas laisser partir la région minière du Donbass, pense Dacha.

«Des fadaises», s’insurge Anne, une ingénieure de 51 ans, qui s’approche, elle aussi deux bidons à la main. Quoique née en Russie, elle ne donne pas un blanc-seing à Moscou. «Poutine joue son jeu, mais on ne sait pas lequel. Qu’ils se mettent seulement d’accord, lui, Obama, et les oligarques, et que tout cela s’arrête. Car on n’en peut plus. Tous les matins tombent des obus, des mortiers, on n’est même pas sûr d’avoir le temps d’arriver jusqu’aux abris», dit l’élégante habitante de Donetsk qui entend bien «rester jusqu’au bout» tout en confessant avoir évacué ses deux chiens et ses sept chats.

Chaque jour apporte son cortège de morts et de destructions, et le ressentiment des habitants vis-à-vis de Kiev, dont les troupes resserrent leur étau autour de la ville, ne cesse de croître. Les tirs restent sporadiques, quelques salves le matin, vers 6 heures, quand le couvre-feu s’achève, et autant le soir. Dans la matinée, on dégage les victimes et on fait le bilan des dégâts. Samedi matin, les services communaux remettaient en marche le tramway, dont les rails étaient encombrés de branches d’arbres. Deux personnes venaient d’être tuées par des éclats d’obus.

«Entre trois et onze personnes sont tuées chaque jour à Donetsk depuis un mois et demi», explique le premier adjoint au maire, Konstantin Savinov. Cela fait donc déjà plusieurs centaines. «Les destructions sont colossales. Leur description remplit un rapport de 30 pages: ce sont des écoles, des jardins d’enfants, des immeubles d’habitation, des musées, et déjà deux mines inondées», énumère-t-il. Pour faire vivre la ville, où les transports restent réguliers, le maire a obtenu un crédit de 2 millions d’euros auprès d’une banque commerciale à Kiev, ce qui n’est qu’un paradoxe de plus dans une ville sous le feu où les entrepreneurs continuent de payer leurs impôts à Kiev.

La république autoproclamée de Donetsk se défend d’avoir stationné des troupes au centre-ville, mais près de chaque lieu touché, des observateurs ont relevé des cibles militaires. «C’est la quatrième ou la cinquième fois qu’on tire par ici, explique Vladimir, un électricien de 56 ans, habitant le quartier des Jeunes mineurs, une zone faite d’immeubles mais aussi de petites maisons. On ne sait pas ce qu’ils visent. On ne sait pas ce qu’il va advenir de nous. Mon lieu de travail est sur la ligne de front. Il a fermé. J’ai touché mon dernier salaire, 2000 grivnias [135 francs], le mois dernier. Avec ça, j’ai fait une provision de pâtes. Je complète avec les produits de mon jardin.» Il voit déjà se profiler l’hiver. «Nous n’avons pas d’argent pour acheter du charbon. Nous couperons le bois des forêts. J’ai déjà commencé», dit-il en montrant les vertes étendues qui pointent derrière les immeubles. Réfugié de Tchétchénie, cette région du Caucase russe qu’il a quittée en 1994 devant la guerre, ce descendant de Cosaques russes ne veut plus partir. «Il n’y a rien de bien en Russie, que la corruption, les bakchichs. Ici, on vivait bien, nous avions de bons salaires, et on ne savait pas qui était Russe, qui était Ukrainien. Qu’on me donne une mitraillette et je défendrai ma ville.»

Dans la journée, les retraités font le siège de l’unique banque qui reste ouverte, la Ochtchadbank (la caisse d’épargne) pour savoir quand ils seront payés. La poste a fermé et la plupart des vieilles personnes n’ont pas de cartes bancaires ou ne savent pas s’en servir en dehors des distributeurs, presque tous taris. Devant le siège de la «République autoproclamée de Donetsk», on recense les plus nécessiteux, mais on n’a pas grand-chose à leur donner. Chacun retrouve les vieux réflexes soviétiques: prendre son tour dans la file avant de demander: «Et qu’est-ce qu’on distribue?» Au centre-ville, un restaurant, le Banana, a ouvert une soupe populaire qui dispense un bouillon aux céréales à plusieurs centaines de personnes par jour.

Mais quand viennent 18 heures et les premiers coups de canon vespéraux, les civils se hâtent vers leurs maisons. A l’exception de ceux qui vivent près de la Kalmious, la petite rivière aussi calme qu’un étang qui baigne la ville. Nikolaï, un prof de technique, fait son footing. Sa famille est partie en Crimée, puis s’est rabattue sur Marioupol, à 120 km au sud de Donetsk, où «c’est moins cher» que sur le littoral désormais russe. «Si la Russie se décidait à prendre notre région comme elle a pris la Crimée, qu’elle le fasse, sinon, elle n’aurait pas dû commencer tout ça», constate, amer, l’enseignant qui habite désormais seul sur son palier dans son immeuble de 10 étages où il ne reste plus qu’une quinzaine de personnes. La guerre qui n’en finit plus a transformé sa ville en désert.

Près de chaque lieu visé par l’armée, des observateurs ont relevé des cibles militaires