Données personnelles: Facebook pointé du doigt dans l’affaire Cambridge Analytica
États-Unis
Les accusations visant Facebook et l’exploitation des données personnelles de ses utilisateurs à des fins politiques ont fait perdre plus de 6% à son action lundi

Facebook a lourdement chuté en bourse le lundi 19 mars après des révélations sur l’exploitation des données personnelles de millions d’utilisateurs par une société liée à la campagne de Donald Trump, une polémique qui, selon des experts, pourrait menacer son modèle économique. Ces accusations, qui ont fait perdre près de 6,8% à l’action Facebook lundi à Wall Street, ont été vigoureusement niées par l’entreprise britannique en question, Cambridge Analytica.
Des deux côtés de l’Atlantique, nombreuses étaient les voix à demander des enquêtes autour de ces affirmations formulées par les journaux américain The New York Times et britannique The Observer. Selon eux, Cambridge Analytica (CA), spécialisée dans la communication stratégique, a récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d’utilisateurs pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer le vote des électeurs.
Breaking News: A Facebook executive who urged transparency on Russian disinformation is said to be leaving after clashing with other company officialshttps://t.co/NVdk4yeyz4
— The New York Times (@nytimes) 19 mars 2018
Lire aussi: Données siphonnées sur Facebook pour servir la campagne de Trump
Ces données auraient été récupérées via une application de tests psychologiques téléchargée par 270 000 utilisateurs du réseau social (et développée notamment par le psychologue russe Aleksandr Kogan) qui, selon Facebook, les a ensuite fournies indûment à CA. Facebook a précisé que l’application avait aussi pu avoir accès aux données personnelles des «amis» des utilisateurs ayant téléchargé l’application, ce qui, selon la presse, a permis l’établissement par CA des profils de 50 millions d’usagers, utiles pour cibler des publicités.
CA, qui a travaillé pour la campagne du candidat républicain Donald Trump, élu président des Etats-Unis fin 2016, a «nié fermement» avoir utilisé ces données dans ce cadre. Elle précise aussi «n’avoir pas travaillé sur le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni». «Ces données Facebook n’ont pas été utilisées par Cambridge Analytica dans le cadre des services fournis à la campagne présidentielle de Donald Trump» et aucune «publicité ciblée» n’a été réalisée «pour ce client», indique l’entreprise.
Audit numérique
De son côté, Facebook dit avoir fermé le compte de la firme et engagé un cabinet d’audit numérique pour faire la lumière sur cette affaire. Selon Facebook, CA a autorisé l’accès à ses propres serveurs tandis qu’Aleksandr Kogan a également accepté de coopérer. Mais Christopher Wylie, un analyste canadien qui a révélé l’affaire aux médias, a pour sa part refusé.
Ces révélations tombent d’autant plus mal que Facebook – mais aussi Twitter ou Google – sont accusés depuis des mois d’avoir servi de plateformes de manipulation de l’opinion publique, en particulier par des entités liées à la Russie lors de la campagne présidentielle américaine ou de celle du référendum sur le Brexit en 2016. Ils sont aussi, de façon générale, régulièrement accusés de ne pas assez protéger les données personnelles de leurs utilisateurs, des informations qui sont au cœur de leur modèle économique.
Des accusations revenues en force lundi. «C’est une brèche énorme sur laquelle il convient d’enquêter. Il est évident que ces plateformes [technologiques] ne peuvent se réguler elles-mêmes», a lancé sur Twitter la sénatrice démocrate Amy Klobuchar. Comme d’autres élus, elle a demandé l’audition par le Congrès des patrons de Facebook mais aussi de Google et Twitter.
News: @SenJohnKennedy & I just sent bipartisan letter to @ChuckGrassley asking for judiciary hearing w/social media CEOs including Zuckerberg. This isn’t the first time we’ve made this request, but now 50 million people who had their records stolen should add to our numbers!
— Amy Klobuchar (@amyklobuchar) 19 mars 2018
«Effroyable, si confirmé»
Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a promis une enquête «complète» sur ces révélations «inacceptables». «Effroyable, si confirmé», a déclaré pour sa part Vera Jourova, la commissaire européenne chargée de la protection des données personnelles, qui compte demander des «clarifications» à Facebook. En Grande-Bretagne, le parlementaire Damian Collins a lui aussi indiqué qu’il exigerait des explications auprès de Facebook comme de CA.
Selon des experts, cette nouvelle polémique est très mauvaise pour Facebook car elle pourrait accentuer la pression pour des règles plus strictes sur l’utilisation des données. Pour Brian Wieser (Pivotal Research), elle met en lumière «des problèmes systémiques chez Facebook». Jennifer Grygiel, spécialiste des réseaux sociaux à l’Université de Syracuse, pense aussi que ces révélations vont augmenter la pression sur ces entreprises. «L’autorégulation ne fonctionne pas», explique-t-elle. Pour elle, ce scandale est le fruit de réglementations trop «légères», qui ont permis à Facebook et à ses partenaires d’exploiter ces données en dehors de tout contrôle. «C’est à cela qu’ils doivent leur croissance. Ce n’était pas une erreur», dit-elle encore.
Pour Daniel Kreiss, enseignant en médias et communications à l’Université de Caroline du Nord, Facebook n’a pas compris la différence entre publicités commerciales et publicités politiques.
«Que Facebook semble ne pas faire la différence entre vendre des baskets et vendre un programme présidentiel est un gros problème», dit-il. Facebook et les autres groupes technologiques vont bientôt devoir composer avec les nouvelles lois sur les données privées, comme le règlement européen général sur la protection des données en mai, souligne David Carroll, enseignant à la Parsons School of Design. «Facebook et Google vont devoir demander à leurs utilisateurs bien plus d’autorisations pour faire usage de leurs données», dit-il, «et beaucoup de gens refuseront, donc […] cela aura un énorme impact sur ces entreprises.»
En outre, la chaîne britannique Channel 4 News a diffusé lundi une enquête portant de nouvelles accusations contre Cambridge Analytica. Filmé en caméra cachée, son directeur, Alexander Nix, évoque des techniques pour piéger des rivaux politiques aux élections. CA a également nié ces accusations.
#CambridgeAnalyticaUncovered Watch the full documentary: https://t.co/EW3uLuhzON
— Channel 4 News (@Channel4News) 19 mars 2018