Le dossier chypriote de plus en plus inextriquable: Rauf Denktash à Genève
Le dossier chypriote semble de plus en plus inextricable à mesure que le pays se rapproche de l'Union européenne.
«Cela fait trois mois qu'il a posé sa demande, Kofi Annan se devait de l'honorer.» Au Palais des Nations de Genève, on camoufle à peine une certaine lassitude devant l'insistance obstinée de Rauf Denktash, le chef de la «République turque de Chypre du Nord».
On sait ce que M. Denktash dira au secrétaire général de l'ONU, ce samedi matin à Genève: il soulignera le fait que l'entité qu'il dirige doit être reconnue en tant qu'Etat par les Nations Unies, de la même manière qu'est reconnue la partie grecque de Chypre. On sait en substance ce que lui répondra M. Annan avant de lui promettre d'en toucher un mot au Conseil de sécurité de l'ONU. La question chypriote a déjà été portée trois fois devant cette instance, rappellera-t-il, sans que cela débouche sur aucun résultat…
Ce n'est pourtant pas par pure obstination que Rauf Denktash ressort une nouvelle fois cette exigence qui se fonde sur un vieux texte de loi chypriote. De fait, il s'agit aujourd'hui de l'une des toutes dernières armes en possession du vieux leader turco-chypriote. Dès le début de la semaine prochaine, en effet, l'Union européenne commencera son processus d'élargissement en direction de cinq pays de l'Est auxquels s'ajoute Chypre ou, plus précisément, la partie grecque de l'île.
En tentant de s'imposer comme un interlocuteur étatique à part entière, c'est bien cette adhésion que M. Denktash essaye donc de bloquer in extremis. Une initiative qui, pour n'avoir aucune chance d'aboutir, complique encore un peu plus une situation qui s'assimile déjà à un sac de nœuds pour l'Union européenne.
Menaces croisées
Car sans même parler de la Turquie – qui menace de réagir très vivement en cas d'adhésion de Chypre – tous les cas de figure sont malheureux pour l'Union européenne. Intégrer la seule partie grecque de l'île? Ce serait courir le risque d'entériner une fois pour toutes sa partition. Et les plus cyniques aux Nations Unies vont jusqu'à dire qu'il s'agit là en réalité du vrai dessein de M. Denktash. Attendre, au contraire, une éventuelle résolution du conflit avant de procéder à l'adhésion? Ce serait se plier aux menaces turques, et admettre le fait qu'un pays extérieur puisse décider de la marche que prend l'Union européenne.
L'importance de l'enjeu explique sans doute la nervosité qui s'accroît de manière très nette entre les deux «mères patries» que sont la Grèce et la Turquie. Le chef de la diplomatie grecque, Theodoros Pangalos, en est venu à imaginer à voix haute cette semaine un scénario de guerre dans lequel son pays «se verrait obligé de combattre» en cas d'attaque turque contre la partie gréco-chypriote. Alors qu'entre militaires et hommes politiques turcs (lire ci-dessus) s'est engagée une partie tendue, ce genre de déclaration ne restera sans doute pas sans réponse. «Ces propos sont ceux d'une âme torturée, disait hier un éditorialiste turc, qui ne trouvera pas de repos avant que la Grèce et la Turquie se déclarent la guerre.»