Il y a ceux, comme Bruno Le Maire, qui évoquent le risque d’un «naufrage pour la nation». Et il y a ceux qui, comme Nicolas Sarkozy, en meeting le 12 mai en Seine-Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, dénoncent «le combat effréné pour la médiocrité» que fait courir à la République sa «désastreuse et peut être irréversible» réforme scolaire. N’en jetez plus: l’UMP, le premier parti de droite français, a trouvé sa nouvelle cible et tire dessus à boulets rouges.

Haro sur la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, 37 ans, binationale franco-marocaine, mariée au secrétaire général adjoint de l’Elysée Boris Vallaud, et mère de jumeaux nés en 2008, Nour et Louis. Avec, dans le collimateur de l’UMP, les changements dans le cursus des collèges (obligatoire pour les élèves de 11 à 15 ans) prévus pour entrer en vigueur début 2016.

Lesquels sont accusés, en vrac, de conduire à l’abandon du latin et du grec, à l’élimination des classes bilingues et de l’allemand, à la suppression de l’enseignement du christianisme au Moyen Age (au profit de la naissance de l’islam), et à la relégation comme matière facultative de l’enseignement de l’esprit des Lumières dans l’Europe du XVIIIe siècle.

La vérité? Rien ne va plus, une fois encore, dans l’école française, qui s’enorgueillit d’un côté d’emmener chaque année plus de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, tout en s’affolant des statistiques sur l’échec scolaire, illustré par les 140 000 élèves qui sortent, par an, sans aucun diplôme de l’école.

Le tout, sur fond d’un ressentiment de plus en plus grand sur la place des minorités et de l’enseignement de l’islam dans une école républicaine idéalisée, bien à la peine pour s’adapter à la société de plus en plus multiculturelle, où les enfants de familles défavorisées ont de plus en plus souvent, surtout aux abords des grandes villes, des repères historiques et religieux aux antipodes de ceux de la majorité blanche des élèves:

«On ne peut pas dissocier les attaques actuelles contre la ministre des statistiques qui ont affolé la France, sur les quelque 300 incidents survenus dans les écoles lors de la minute de silence en la mémoire de «Charlie» après les attentats de janvier, ou sur les 550 signalements d’élèves musulmans «radicalisés» donnés par l’Education nationale», explique un proche de l’ancien ministre socialiste Vincent Peillon. Le débat scolaire, en France, est toujours résolument politique.

La ministre visée par les attaques a, elle, décidé de riposter par une campagne pédagogique, en comptant sur le soutien que lui ont apporté à tour de rôle le premier ministre Manuel Valls et le président François Hollande. Mais cette élue régionale de Rhône-Alpes, entrée en politique dans le sillage conjoint de l’actuelle ministre de l’Environnement Ségolène Royal – qui la révéla et dont elle fut la porte-parole – puis du maire de Lyon Gérard Collomb, sait qu’elle est sur la corde raide dans ce ministère.

Elle y est arrivée par «effraction», après le départ prématuré, en août 2014, de Benoît Hamon, proche du ministre de l’Economie évincé Arnaud Montebourg (c’est son mari, Boris Vallaud, qui dirigeait alors le cabinet…). La semaine qui s’annonce, avec un appel à la grève des enseignants le 19 mai, en viendrait presque à faire oublier que la réforme incriminée, présentée courant mars et dont le contenu est consultable sur Internet, a été largement adoptée par la communauté éducative.

Et à reléguer au second plan le fossé croissant entre les buts assignés à l’école et l’état de la société française, illustré par le rapport «Grande pauvreté et réussite scolaire» présenté le 12 mai: 1,2 million d’enfants sur les douze millions d’élèves scolarisés seraient dans une situation de grande précarité sociale, intellectuelle et physique.

«La mobilisation politique n’est pas surprenante. Elle reflète l’inquiétude généralisée devant un nivellement par le bas, et la remise en cause d’un système scolaire conçu pour un objectif aujourd’hui contesté: trier et sélectionner», a expliqué Jean-Paul Delahaye, l’auteur du rapport. Traduction: toute une partie de la société française, surtout à droite, ne veut pas d’une école qui intègre, préférant une école destinée en priorité à la formation des élites.

D’où la mobilisation en faveur du latin, du grec et des programmes d’histoire: «On oublie que cette réforme du collège, que Najat Vallaud-Belkacem a trouvée à son arrivée, a justement pour but le contraire: mettre au niveau tout le monde avant le choix du lycée», explique un proviseur parisien. Elle s’intègre bien dans un dispositif où, par exemple, une partie des collégiens partiraient ensuite en apprentissage, à la mode suisse, comme le défend aujourd’hui François Hollande.

«Avoir fait du latin n’est pas indispensable pour apprendre un métier, il faut l’admettre.» Et l’historien Claude Lelièvre de compléter: «Le cocktail langues anciennes-histoire, c’est toujours une bombe.»

La ministre répond qu’elle est prête à écouter, comme elle vient de le montrer en prenant la défense de l’enseignement de l’allemand. Sauf que certaines attaques lui font plus mal que d’autres. L’enseignement de la naissance de l’islam est, ainsi, déjà au programme obligatoire, et le mettre en rivalité avec la chrétienté au Moyen Age en Europe – c’est-à-dire les croisades – est évidemment très explosif.

Idem pour la polémique autour de «l’esprit des Lumières» que l’ancien directeur de «Charlie Hebdo», Philippe Val, défend avec virulence: «Le problème de cette gauche au pouvoir est culturel, juge l’auteur de «Malaise dans l’inculture (Ed. Grasset). Elle a oublié ses racines. C’est justement parce qu’on enseigne davantage l’islam qu’il faut enseigner Voltaire et l’Etat de droit!»

Ancienne élève de zone d’éducation prioritaire, puis diplômée de Sciences Po Paris avant d’échouer à deux reprises au concours d’entrée de la prestigieuse ENA, Najat Vallaud-Belkacem n’est pas dupe. Beaucoup de ceux qui la critiquent, au sein du parlement comme de l’élite intellectuelle, pérorent sur l’école publique sans y mettre leurs enfants, préférant les collèges privés souvent catholiques et débordés de demandes d’inscription.

Elle sait aussi que son ministère doit faire le grand écart, entre des attentes populaires toujours plus grandes et des contraintes budgétaires qui l’obligent à recourir, chaque année, à trente mille contractuels pas toujours bien formés, dépêchés devant des classes bondées: «Il ne faut pas reculer, il faut se battre», a-t-elle plusieurs fois répété ces derniers jours. A condition d’avoir ce qui manque encore cruellement à la France en matière scolaire: une stratégie compréhensible, et surtout adaptée aux besoins du marché du travail moderne.