L’Italie fait figure d’anomalie en Europe de l’Ouest: elle est le seul pays où la reconnaissance des droits des homosexuels est, à peu de chose près, inexistante. A l’exception d’une loi de 2003 interdisant les discriminations dans le domaine du travail, qui mentionne également l’«orientation sexuelle», pas un mot sur le sujet dans le corpus législatif du pays.

Cette semaine encore, sous la pression des partis de droite et du centre, une commission parlementaire a torpillé une loi prévoyant des sanctions pénales en cas d’incitation à la haine contre les personnes homosexuelles et transsexuelles. Au même moment, dans le reste du monde, les droits civils des gays enregistraient de nettes avancées: en France, le Conseil des ministres adoptait son projet de loi sur le mariage homosexuel. Aux Etats-Unis, celui-ci était légalisé dans le Maine, le Maryland et l’Etat de Washington. Et en Suisse, où le partenariat enregistré a été avalisé en 2005, rien n’est encore décidé, mais le parlement s’apprête à débattre du droit d’adoption pour les homosexuels lors de sa session d’hiver, du 26 novembre au 14 décembre.

«Nous sommes tout simplement le pays occidental le plus arriéré en la matière», déplore Paolo Patanè, président d’Arcigay, la principale organisation italienne de défense des homosexuels. A l’heure où le parlement trébuche sur l’adoption d’une loi contre l’homophobie, aucun projet d’union civile, et à plus forte raison de mariage gay, ne figure à l’agenda des Chambres. «Depuis le milieu des années 1980 pourtant, note le sociologue Luca Trappolin, de nombreuses propositions de lois visant à reconnaître les couples gays ont émergé, mais aucune n’a été discutée.»

Comment expliquer le blocage italien, alors que d’autres pays à la forte tradition catholique, comme l’Espagne, le Portugal et l’Argentine autorisent le mariage homosexuel?

En Italie, la question religieuse prend une dimension particulière «en raison de la présence du Vatican sur le territoire national, souligne Paolo Patanè. Cela permet à sa hiérarchie d’influer très directement sur le débat politique.» La pression de l’Etat pontifical, renchérit Luca Trappolin, «est forte sur toutes les questions éthiques, et en particulier sur les débats qui touchent à la famille». Surtout, elle s’exerce sur l’ensemble de la classe politique, note le psychiatre Vittorio Lingiardi, professeur à l’Université La Sapienza de Rome, et auteur de Citizen gay, affetti e diritti, réédité début novembre: «Avant de prendre une décision, les politiciens italiens traversent tous le Tibre pour demander leur avis aux autorités vaticanes, tant ils craignent de perdre l’électorat catholique.»

Résultat, la droite n’affiche aucune ouverture sur les questions liées à l’homosexualité, et même le Parti démocrate, la grande formation de centre gauche, n’a fait que prendre timidement position en faveur d’une union civile. «Mais il n’est pas question pour eux de défendre le mariage gay», note Paolo Patanè. Seuls quelques petits partis, comme l’Italie des valeurs du juge Di Pietro, ou le Sel, situé à la gauche du Parti démocrate, affichent un soutien plus marqué aux revendications des milieux homosexuels.

Autre élément à prendre en compte: la classe politique est la meilleure représentante du «provincialisme italien, estime Vittorio Lingiardi, qui pousse à faire systématiquement prévaloir la culture intérieure sur l’ouverture européenne». Ce qui explique que les multiples injonctions adressées par l’UE à la Péninsule pour qu’elle remédie au vide juridique sur l’homosexualité se soient heurtées à l’indifférence des autorités.

Cela dit, relève Luca Trappolin, sur cette question encore plus que sur d’autres, «les politiciens qui siègent à Rome sont en net décalage avec le reste de la société italienne». Selon une grande enquête de l’Institut national de statistiques (Istat) présentée en mars dernier, 73% des Italiens réfutent par exemple l’idée que l’homosexualité soit «immorale», et 62,8% d’entre eux sont favorables «à ce qu’un couple homosexuel qui vit ensemble puisse disposer des mêmes droits juridiques qu’un couple marié».

Alors que le verrou politique perdure au plan national, «les choses bougent à d’autres niveaux, note le sociologue. Certaines régions, comme les Pouilles ou la Toscane, légifèrent pour lutter contre les discriminations liées à l’homosexualité». De la même façon, d’importantes décisions rendues par les tribunaux font jurisprudence. En mars dernier, la Cour de cassation a ainsi conclu que les mariages de couples homosexuels contractés à l’étranger ne pouvaient pas être reconnus en Italie, mais que ces ménages pouvaient légitimement faire valoir leur droit à «un traitement conforme à celui garanti par la loi au couple marié».

De quoi donner à Paolo Patanè des raisons d’espérer: «La pression internationale et celle de la réalité quotidienne des gens finiront par être les plus fortes.»

«Les politiciens sonten net décalage avecle reste de la société italienne»