Wali Mohammed, commandant taliban en charge des opérations suicides, tué par un avion sans pilote dans les zones tribales du Pakistan. Maulvi Nazi, autre responsable taliban chargé de protéger les combattants d’Al-Qaida anéanti par le même type d’engin. Depuis le début de l’année, la CIA est en train de mener une opération sans précédent à l’aide de drones pour «nettoyer» le Waziristan du Nord et du Sud de cellules terroristes. La dernière attaque menée jeudi est la septième en dix jours.

«Modèle yéménite»

Motif probable de cette escalade: les Etats-Unis sont en passe d’entamer le retrait d’Afghanistan. Vendredi, le président américain Barack Obama a expliqué à son homologue afghan Hamid Karzaï que les troupes américaines joueraient dès ce printemps un rôle avant tout de soutien. A l’avenir, sans l’appui sécuritaire de l’armée, la CIA ne pourra plus opérer de la même manière. D’où le sentiment d’urgence.

Jusqu’ici, le Pakistan n’a pas protesté de vive voix. Mais selon Bill Roggio, cité par le Washington Post et qui recense les frappes de drones au Pakistan sur son site Long War Journal, les attaques de ces derniers jours ont provoqué la mort de 30 combattants, mais aussi de 11 civils. Depuis 2004, la CIA a déjà mené plus de 300 frappes au Pakistan, qui ont éliminé près de 2400 personnes. Si le nombre de civils tués par ces avions sans pilote toujours plus sophistiqués a proportionnellement diminué par rapport à 2006, cette politique de lutte contre le terrorisme provoque, dans certains milieux américains, une vive controverse amplifiée par la récente nomination de John Brennan à la direction de la CIA.

Le nouveau patron de la Central Intelligence Agency, qui doit encore être confirmé par le Sénat, a été l’un des grands artisans de la stratégie antiterroriste axée sur les attaques de drones. En tant que conseiller pour la lutte antiterroriste de la Maison-Blanche, cet Américain arabophone avait développé le «modèle yéménite», une combinaison de frappes de drones et d’assauts de forces spéciales contre des responsables d’Al-Qaida. En nommant John Brennan pour remplacer David Petraeus à la tête de la CIA, Barack Obama choisit de continuer cette stratégie controversée.

Pour Gregory Johnsen, expert du Yémen et spécialiste de la question, les nombreuses victimes civiles expliquent pourquoi Al-Qaida dans la péninsule Arabique est passée de quelques centaines de combattants à plusieurs milliers. Le rôle de la CIA est en premier lieu de collecter des renseignements. La militarisation de l’agence lui paraît incongrue. «Avant que l’Amérique gagne la guerre du renseignement, des missiles vont continuer de frapper les mauvaises cibles», précise-t-il. Avant de quitter la CIA en raison d’un scandale sexuel, David Petraeus avait pourtant tenté de limiter l’ampleur de telles opérations, quitte à se disputer avec John Brennan.

Contacté par Le Temps, Robert Greenwald est lui aussi remonté. Auteur d’un documentaire, Drones exposed, déjà diffusé en version courte, il le dit sans ambages: «La stratégie des drones est un désastre tant au niveau de la sécurité nationale que de la morale. Mon film évoque la mort de 178 enfants tués par des drones américains. Au Pakistan, un ancien candidat à la présidentielle me l’a avoué. Les drones tuent peut-être une centaine de terroristes, mais ils poussent des millions de citoyens à haïr l’Amérique.» Robert Greenwald promet déjà de présenter la version longue de son film en juin prochain au Tout-Washington, aux membres du Congrès et à la Maison-Blanche. «Combattre le terrorisme est très compliqué. Ce n’est pas avec une stratégie simpliste de frappes à distance avec des drones qu’on va résoudre le problème. Pour qu’un mouvement terroriste s’éteigne, il faut agir sur plusieurs fronts: mesures policières, renforcement de l’éducation et de la formation, création d’emplois.»

Loi contournée

L’utilisation massive des drones comme moyen de guerre suscite également une levée de boucliers auprès des constitutionnalistes. L’administration Obama combat au Pakistan sans avoir livré la moindre déclaration de guerre ou consulté le Congrès. Elle contourne ainsi le War Powers Act et interprète de façon très extensive une loi adoptée au Capitole en 2001 pour lutter contre l’Afghanistan. Les plus critiques l’affirment: l’utilisation massive des drones est une tactique, mais une très mauvaise stratégie à terme, qui va à l’encontre de la sécurité des Etats-Unis.

Autre point ultrasensible: les kill lists, par lesquelles le président décide, en concertation avec des responsables de l’administration connectés par téléconférence tous les mardis lors de Terror Tuesdays, d’exécuter sans autre forme de procès des terroristes présumés. A Genève, en juin 2012, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Ben Emmerson, le rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a été invité à enquêter sur la légalité d’une telle utilisation des drones. Il remettra ses recommandations à l’Assemblée générale de l’ONU en octobre 2013.