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Duel à l'ONU sur les droits humains

La création du Conseil des droits de l'homme est en panne. La Suisse et l'Union européenne s'opposent aux Etats-Unis.

John Bolton donne ces jours-ci des sueurs froides au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Depuis qu'il a exprimé, mardi à New York, son opposition au texte de compromis visant à créer un Conseil des droits de l'homme pour remplacer l'actuelle Commission, l'ambassadeur américain aux Nations unies cristallise l'hostilité des partisans de la réforme.

Enjeu de taille pour la Suisse

La cheffe de la diplomatie suisse, Micheline Calmy-Rey, a ainsi décidé de venir à Genève défendre ce vendredi devant la presse ce projet, dans lequel la Suisse s'est beaucoup impliquée et que les 25 pays membres de l'Union européenne ont, mercredi soir, annoncé soutenir. Mme Calmy-Rey devrait faire savoir si elle partage, ou non, le pessimisme de beaucoup d'observateurs, convaincus que le veto américain ne pourra pas être levé d'ici à l'ouverture de la 62e session de la Commission, lundi 13 mars. Celle-ci pourrait même, dit-on, être différée. Au grand dam des centaines d'organisations non gouvernementales attendues, comme chaque année, sur les bords du Léman.

Pour la Confédération, l'enjeu est de taille. La Suisse a misé gros sur la création du Conseil qui, selon le compromis rédigé par le président de l'Assemblée générale, le Suédois Jan Elliasson, devrait être composé de 47 membres élus pour trois ans (et pour un maximum de deux mandats) à la majorité simple des 191 pays membres des Nations unies. «Ce Conseil, qui sera permanent et pourra convoquer des sessions extraordinaires, aura beaucoup plus de moyens que l'actuelle Commission, confirme un diplomate suisse. Il pourra en outre compter sur l'appui du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, dont le budget a été doublé. Enfin, ses membres devront s'engager à faire progresser les libertés. Ils seront soumis à l'examen de leurs pairs. C'est une saine émulation qui place les droits de l'homme au cœur du dispositif onusien.» Les grandes organisations de défense des libertés, comme Amnesty International, y sont d'ailleurs favorables.

L'uppercut américain

Problème: les Etats-Unis diffèrent sur le constat et sur la méthode. Sur le constat d'abord. Même si certains estiment que John Bolton, connu pour son anti-multilatéralisme, est peut-être allé plus loin que son administration, la question de l'élection des membres à la majorité simple pose bien problème à Washington. Les Etats-Unis jugent que des pays violateurs pourront ainsi se faire élire, et reproduiront le schéma décrié de l'actuelle Commission, dont les membres sont nommés par les groupes régionaux. Le 26 février, un éditorial au vitriol du New York Times a estimé qu'il s'agissait «d'une honte» pour l'ONU. Pour le journal, comme pour le Département d'Etat, les deux tiers des votes doivent être requis. John Bolton est allé plus loin en exigeant l'exclusion des pays frappés de sanctions onusiennes, et un siège garanti dans la nouvelle institution pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Sur la méthode ensuite. Soutenu par la Suisse, le président de l'Assemblée générale, Jan Elliasson, a tout misé sur une adoption par consensus du texte portant création du Conseil. Il a donc travaillé sur un compromis acceptable, qu'il désirait soumettre jeudi aux 191 pays membres pour le faire adopter en absence d'opposition. Or, selon de bonnes sources, «cette méthode douce insupporte les Etats-Unis, qui aujourd'hui veulent avoir leur mot à dire sur tout». John Bolton a d'ailleurs dit qu'il n'excluait pas une reprise des négociations «phrase par phrase». Bref, l'idée d'un projet commun a fait long feu. «L'impérialisme américain ne supporte pas le consensus, car il le juge mou. Nous avons mésestimé cela», poursuit un négociateur helvète.

Résultat: un évident dilemme diplomatique. Soit les partisans du Conseil vont de l'avant et le soumettent au vote à New York, avec de bonnes chances d'obtenir la majorité des membres de l'ONU et de marginaliser les Etats-Unis. Soit les pourparlers reprennent, mais pour combien de temps: «La vérité est que la création d'un Conseil contre la volonté des Etats-Unis serait une défaite, reconnaît un familier du dossier. D'emblée, les droits de l'homme se retrouveraient otages de la politique.» Par soucis d'éviter d'enflammer le débat, le secrétaire général, Kofi Annan, a d'ailleurs renoncé, pour l'instant, à publier dans la presse un article, déjà rédigé, de soutien au futur Conseil.