Utilisant une rhétorique enflammée contre Israël, la déclaration finale de la réunion des 3000 organisations non gouvernementales (ONG) qui se tenait en marge de la Conférence mondiale contre le racisme à Durban a accusé Israël d'être «un Etat raciste», «coupable de perpétrer des actes de génocide, des crimes de guerre et de se livrer à des opérations de nettoyage ethnique». La déclaration a aussi affirmé que «le sionisme était une doctrine raciste qui vise à promouvoir la domination raciale d'un groupe sur un autre» et a demandé l'instauration «d'un tribunal international» pour «juger de l'ensemble des crimes contre l'humanité commis par Israël». Cette déclaration a provoqué des réactions immédiates. Simon Samuels, du Centre Simon Wiesenthal et représentant à Durban des organisations juives, a estimé que «l'on n'avait plus assisté à une propagande aussi insensée depuis le nazisme: le but ultime de ceux qui ont voulu cette déclaration est de liquider Israël. Cette déclaration montre le lien entre antisionisme et antisémitisme.» Quelques ONG occidentales, telles que Amnesty international et Human Rights Watch, se sont distanciées de la déclaration.

Un traitement inégal

Dans un entretien accordé au Temps, Tom Lantos, membre démocrate du Congrès et figure de proue de la délégation américaine, a affirmé que «la conférence contre le racisme est en train d'être kidnappée par les extrémistes. Une conférence censée lutter contre la discrimination discrimine un Etat: c'est inacceptable! Ni les talibans qui discriminent les hindous, ni les Soudanais où subsiste la pratique de l'esclavage, ni la répression dont sont victimes les Tibétains par les Chinois, ni les Saoudiens dont les femmes ont un statut inférieur ne sont pas une seule fois mentionnés. Ce n'est pas une conférence contre le racisme, mais contre Israël.» Tom Lantos qui venait de s'entretenir par téléphone avec le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, a mis en garde: «L'atmosphère de cette conférence est détestable, et les Etats-Unis la quitteront si des Etats occupés à leur exercice de propagande persistent à vouloir concentrer leur hargne contre Israël.»

De son côté, le porte-parole de la délégation israélienne, Noam Katz, a déclaré qu'il s'agit là «d'une nouvelle tentative de diabolisation d'Israël: c'est une incitation à la haine dont le but est d'ôter sa légitimité à l'Etat juif et à son peuple». Lors d'une conférence de presse, le chef de la délégation de l'Etat hébreu Morderai Yadid a déclaré: «Nous assistons à une escalade de l'offensive palestinienne pour salir l'image d'Israël. Nous sommes en train de reconsidérer notre participation à cette conférence. Si le langage de haine n'est pas enlevé, alors nous n'aurons plus rien à faire à Durban.» Morderai Yadid a confirmé que des discussions étaient encore en cours, mais ne cachait pas son inquiétude: «Les relations entre les Nations unies et Israël atteignent un point critique. Nous avons demandé à Kofi Annan et à Mary Robinson de s'impliquer pour rendre les textes acceptables.»

Les Nations unies regardent, impuissantes, la conférence se détourner de son objectif de lutter contre le racisme. Mary Robinson, le haut-commissaire aux droits de l'homme, n'a pu que se lamenter: «Le Proche-Orient a kidnappé toute la conférence. Les autres questions comme l'esclavage, les droits des minorités, la discrimination sexuelle et la pauvreté sont marginalisées.» En vain, elle avait tenté de dissuader les organisations non gouvernementales d'adopter un ton d'une telle virulence contre Israël. Inquiète et sans guère de possibilité d'action, Mary Robinson en a appelé aux médias pour faire en sorte que la conférence ne soit pas seulement focalisée sur Israël. Elle a en mémoire les deux précédentes conférences contre le racisme en 1978 et 1983 à Genève qui avaient capoté à cause du Proche-Orient.

Une influence pernicieuse

Bien que la déclaration des ONG n'ait pas formellement un impact sur les négociations entre les représentants des 153 pays, il est évident qu'elle pèse lourdement. Depuis des jours, Kofi Annan essayait, en sous-main, de désamorcer la crise, en parlant avec Colin Powell, les Israéliens et les représentants arabes à Durban. Samedi encore, lors d'une conférence de presse, il déclarait que l'on ne pouvait pas «assimiler le sionisme au racisme». Visiblement, il n'a pas été entendu. Les raisons sont multiples: la violence des affrontements israélo-palestiniens a radicalisé les positions du monde arabo-islamique, la présence d'Arafat à Durban, l'identification des Sud-Africains aux Palestiniens qui remonte à leurs liens durant leur combat contre l'apartheid, le fait encore que beaucoup de pays sont ravis que la focalisation sur Israël ne braque par les projecteurs sur eux.

Devant ces développements, un ambassadeur du monde arabe ne cachait pas sa satisfaction: «Rien de ce qui se fera à Durban n'aura de toute manière un aspect contraignant. L'important était d'avoir une caisse de résonance pour marquer notre opposition à la politique israélienne. Nous avons réussi au-delà de nos attentes. Que pouvions-nous espérer de plus?»