Des élections ternies par les violences
philippines
L’archipel a recouru au premier scrutin à comptage électronique. Avec plus de la moitié des votes déjà comptés, Benigno Aquino III est donné large favori dans la course à la présidentielle, avec environ 40% des voix
Les élections philippines de lundi se sont terminées sur une bonne surprise. Pas tellement par le nom des vainqueurs sortis de ces élections nationales, mais par la rapidité et l’apparente transparence du scrutin. Les premières élections à comptage et transmission électroniques des Philippines ont permis à l’archipel de tirer un trait sur les massives manipulations des résultats, qui étaient légion dans cette jeune démocratie. La Commission des élections (Comelec) a pu annoncer hier soir les résultats partiels, à partir de 50% des votes, selon un procédé transparent qui a été observé par des médias philippins traditionnellement critiques et plus de 500 000 observateurs locaux.
Lors de la précédente élection, en 2004, le nom du président n’avait été connu qu’au bout d’un mois et demi. Pour se rendre compte un an après que celle qui avait été proclamée vainqueur, Gloria Arroyo, avait eu le temps d’appeler le directeur de la Comelec pour négocier l’achat d’un million de voix en sa faveur…
«Dans toutes les élections, le temps joue contre la transparence, car plus on retarde la publication des résultats, et plus on laisse de temps aux candidats pour tricher», analyse Ramon Casiple, directeur de l’Institut pour la réforme politique et électorale, qui se dit satisfait de cette journée de vote.
Cependant, l’organisation du vote, qui renouvelait 18 000 postes le même jour, depuis les maires et les gouverneurs jusqu’aux députés et le président, n’a pas été des plus ordonnées: l’exceptionnelle participation, de près de 80% des 50 millions d’électeurs, a engendré des files d’attente de plusieurs heures à l’extérieur des bureaux de vote. Dans cette cohue, des milliers d’électeurs n’ont pas trouvé leur nom sur des listes mal établies. Plusieurs organisations de surveillance des votes accusent à présent la Comelec de négligence, et affirment que de tels défauts sont difficilement justifiables avec un budget total de 380 millions de francs attribué pour ces élections.
Les violences n’ont pas non plus cessé lors de cette élection: 15 personnes ont été tuées entre dimanche soir et lundi, lors d’affrontements entre des clans politiques rivaux, ce qui porte le chiffre à environ 100 personnes assassinées dans le cadre de ces élections depuis le dépôt des candidatures en novembre dernier. Certaines attaques ont également été dirigées contre les électeurs: deux personnes qui attendaient pour voter sur l’île de Mindanao ont été tuées dans une attaque aveugle à l’arme automatique, visant à dissuader les citoyens. Cela a en partie fonctionné, car la Comelec a dû invalider le scrutin dans sept villages à cause de l’absence des inspecteurs.
Selon les premières estimations, Benigno Aquino III pourrait devenir le prochain chef de l’Etat. Le message envoyé par les électeurs est clair, comme l’affirme Lowie Villafranca, 38 ans, qui vient de voter pour lui: «Nous voulons un gouvernement honnête et transparent. Nous en avons assez des politiciens corrompus!»
«Noynoy» Aquino, fils de l’ancienne présidente Corazon Aquino, a profité de l’énorme capital de sympathie et de l’image d’honnêteté de sa mère pour dominer la campagne. Il a attiré l’électorat jeune et idéaliste en promettant de «faire cesser la corruption pour mettre fin à la pauvreté». S’il est proclamé président, ce sénateur de 50 ans, fils prodigue de deux héros modernes du pays, mais dont les réalisations politiques sont jusqu’à présent maigres, devra trouver les moyens de ne pas décevoir ces aspirations naissantes au changement.