La voix est posée, seul le débit plus rapide que d’habitude trahit la nervosité contenue. La reine serre les dents et, en quelques phrases, confirme le déclenchement de la troisième guerre mondiale entre l’OTAN et le pacte de Varsovie. Evoquant «la folie des conflits armés et du pouvoir mortel de l’abus de technologie», Elisabeth II appelle ses sujets à montrer le même esprit de résistance qu’en 1914-1918 ou en 1939-1945.

Il ne s’agit pas de politique-fiction. Si le message de la souveraine n’a heureusement jamais été diffusé, son existence même, révélée le 1er août par les archives britanniques, traduit l’extrême tension des relations Est-Ouest en 1983. Persuadés que Moscou envisageait de lancer une attaque atomique sur le Royaume-Uni et plusieurs autres pays de l’OTAN, des officiels de Whitehall (le quartier des ministères) avaient rédigé le discours que devait prononcer le chef suprême des armées britanniques dans un tel scénario.

Missiles nucléaires

Pour comprendre l’anxiété des responsables britanniques, remontons le temps de trente ans. Margaret Thatcher vient de ­remporter triomphalement un deuxième mandat lors des élections générales du 9 juin contre un adversaire travailliste, Michael Foot, partisan du désarmement nucléaire et du renoncement au parapluie atomique américain. Surnommée la «Dame de fer» par l’URSS en raison de la virulence de ses propos antisoviétiques et de sa proximité avec Ronald Reagan, «Maggie» Thatcher a accepté le déploiement sur le sol britannique des missiles de croisière américains équipés de têtes nucléaires.

Faute d’accord avec Moscou à Genève, les premiers engins sont installés à la base RAF de Greenham Common, à 80 km de Londres, pour parer à la menace des SS 20 déployés par le Kremlin. Plusieurs ministres réclament une double clé anglo-américaine par peur d’une décision unilatérale américaine de susciter la foudre. Ils redoutent la mobilisation des pacifistes qui font le siège de Grenham Common.

L’invasion américaine, le 25 octobre 1983, de l’île de la Grenade, nation indépendante dont la reine est le chef de l’Etat, accroît l’inquiétude de Londres, qui n’a pas été prévenu. L’ambassadeur de Sa Majesté à Londres fait état de l’inquiétude du Kremlin devant l’ampleur des manœuvres de l’OTAN. Pour sa part, le secrétaire général du Parti communiste d’URSS, Youri Andropov, aux affaires depuis le 12 novembre 1982 mais gravement malade, multiplie les déclarations belliqueuses. Les durs du Politburo ont l’ascendant. L’ex-chef du KGB meurt finalement le 9 février 1984.

La paranoïa ambiante en 1983 a inspiré Frederick Forsyth dont le best-seller, Le Quatrième Protocole, publié en août 1984, fait état d’un complot soviétique visant à provoquer un accident nucléaire sur le sol anglais dont les Etats-Unis auraient été tenus pour responsables.