FRANCE
Le parlement français, sous la pression d’un mouvement social historique, devait voter ce jeudi l’impopulaire réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Finalement, le gouvernement a pris le risque de mettre le feu aux poudres en passant en force
Des milliers de manifestants dans les rues
Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés dans plusieurs villes de France jeudi soir après le déclenchement de l’article 49.3. Ces manifestations ont parfois été marquées par des tensions et des dégradations. Selon une source policière, ils étaient «quelques milliers» à Paris, où les forces de l’ordre sont intervenues en début de soirée, notamment avec des canons à eau. A 22h, la manifestation était dispersée et au total 310 personnes ont été interpellées. Selon la préfecture. Des incidents ont aussi éclaté à Nantes, où environ 3500 personnes se sont rassemblées, à Rennes, Lyon, Toulouse, Bordeaux ou encore Marseille.
C’était le jour J, celui du vote de la très impopulaire réforme des retraites d’Emmanuel Macron par les deux Chambres du parlement français sous la pression d’un mouvement social historique et d’une droite traditionnelle qui a tergiversé et négocié ses voix jusqu’à la dernière minute. Si le Sénat, qui penche plus à droite, a largement validé le texte sans surprise dans la matinée, les choses étaient beaucoup plus compliquées à l’Assemblée nationale avec certains députés Les Républicains qui menaçaient de refuser le texte ou de s’abstenir en masse. Même du côté du camp présidentiel, certains élus se disaient hostiles à la réforme.
Résultat des courses: les réunions de crise se sont enchaînées à l’Elysée et le camp présidentiel a continué à vérifier ses décomptes jusqu’au début de l’après-midi. Les réticences des frondeurs ont fait que le président de la République n’a pas voulu prendre le risque d’un vote et qu’il a demandé à la première ministre Elisabeth Borne de déclencher l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de valider le texte sans vote des élus en engageant la responsabilité du gouvernement. Emmanuel Macron s’est justifié lors d’un dernier Conseil des ministres extraordinaire à quelques minutes du vote prévu, selon un participant cité par l’AFP: «Mon intérêt et ma volonté politiques étaient d’aller au vote», a-t-il expliqué avant d’ajouter qu’il considérait cependant «qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands». Il aura donc finalement préféré prendre le risque de mettre le feu aux poudres en passant en force.
Quelques minutes plus tard, à l’arrivée de la première ministre dans l’hémicycle, la gauche radicale des Insoumis s’est levée et a chanté La Marseillaise à de nombreuses reprises, provoquant une suspension de séance et obligeant Elisabeth Borne à finalement prononcer son discours en forçant sa voix sous les huées et les appels à la démission.
Dans une ambiance survoltée, @Elisabeth_Borne prend la parole. "Si chacun votait selon sa conscience et en cohérence avec ses prises de position passées, nous n'en serions pas là cet après-midi."#RéformeDesRetraites #DirectAN pic.twitter.com/C9IaBh5wHO
— LCP (@LCP) March 16, 2023
Le bouton nucléaire
Le bouton nucléaire parlementaire du 49.3, utilisé à de multiples reprises depuis les élections législatives qui ont privé Emmanuel Macron de sa majorité absolue, est souvent perçu et décrit comme une violence démocratique, tolérée sur les textes budgétaires mais pas sur un sujet aussi sensible et important pour les Français que cette réforme des retraites. La décision de ce jour mettra probablement de l’huile sur le feu du mouvement social et de la mobilisation des oppositions. Les réactions vigoureuses des syndicalistes et des élus n’ont d’ailleurs pas tardé.
Le gouvernement français s’expose par ailleurs à une ou plusieurs motions de censure dans les jours qui viennent comme à chaque recours au 49.3. Le Rassemblement national et la gauche ont d’ores et déjà fait savoir que leurs textes étaient prêts et qu’ils allaient les déposer au plus vite. La particularité de ces débats qui auront lieu la semaine prochaine est que certains députés, dont des Républicains, ont fait savoir qu’ils étaient prêts à aller au-delà des divisions partisanes et à s’aligner derrière des motions déposées par d’autres pour faire tomber la première ministre et son gouvernement. Une motion «transpartisane» est même discutée, elle pourrait être portée par le groupe de députés centristes LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires).
Autre scénario extrême à envisager: Emmanuel Macron faisait planer mercredi la menace d’une dissolution de l’Assemblée nationale en cas de vote perdu selon BFMTV. A l’automne, il faisait déjà savoir qu’il envisageait un recours à cet outil en cas de motion de censure adoptée par l’Assemblée. La crise institutionnelle française n’en est donc peut-être qu’à ses débuts.
La suite des manifestations
Cette journée d’épilogue parlementaire après un mois de débats d’une rare violence ne sera donc pas le point final du dossier, au Palais Bourbon et dans la rue: «On ne va pas faire des manifestations pendant six mois pour finir à 15 derrière une banderole, mais il y aura une suite», prévenait déjà ce jeudi matin au micro de France Info Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT et principale figure du syndicalisme modéré dont l’alignement sur les autres syndicats a été marquant dans ce mouvement social. Et il parlait là de scénario en cas de validation du texte sans recours au 49.3. Quelques minutes après la prise de parole d’Elisabeth Borne, Laurent Berger a annoncé la préparation de nouvelles manifestations dans les jours qui viennent. L’intersyndicale devait se réunir ce jeudi soir pour décider de la forme à donner à cette «suite».
En attendant, un rassemblement improvisé réunissant plusieurs milliers de personnes – jeunes, syndicalistes et élus – a eu lieu en fin d’après-midi jeudi sur la place de la Concorde, à quelques dizaines de mètres de l’Assemblée nationale. Jean-Luc Mélenchon, le maître à penser des Insoumis, y a affirmé que cet «effondrement de la minorité présidentielle» et cet «échec spectaculaire» faisaient que le mouvement social a «de bonnes chances d’avoir le dernier mot».
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