En Allemagne, tout le monde se souvient du choc Pisa: le pays des poètes et des philosophes découvrait avec stupeur voici douze ans que son système éducatif n’était plus performant. En 2001, un élève allemand sur quatre âgé de 15 ans ne savait ni lire ni écrire correctement. En mathématiques et en sciences, les résultats des jeunes Allemands étaient en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Au final, la République fédérale se retrouvait en 22e position sur 32 pays. Nulle part ailleurs parmi les Etats riches de l’OCDE l’école ne reproduisait autant qu’en Allemagne les inégalités sociales. Le magazine Der Spiegel s’interrogeait alors en une: «Les élèves allemands sont-ils nuls?»
C’est presque avec hystérie qu’avaient réagi les ministres de l’Education des 16 Länder, compétents en termes d’éducation et de formation. «Le choc Pisa a été salutaire», estime aujourd’hui le magazine Die Zeit.
Trop large autonomie
De fait, l’Allemagne a adopté avec succès un vaste programme de réformes pour remonter la pente. «L’Allemagne est l’un des seuls pays de l’OCDE à avoir régulièrement progressé dans tous les domaines de l’étude Pisa entre 2000 et 2009», constate Petra Stanat, directrice de l’institut de mesure de la qualité dans l’éducation IQB. Les résultats sont surtout probants dans la lutte contre le phénomène du très mauvais élève: le nombre d’écoliers ayant particulièrement des difficultés est passé en quelque dix ans d’un quart à un cinquième du total.
«Depuis les années 1970, l’Allemagne s’était quasiment retirée de tous les tests comparatifs internationaux, explique Wilfried Bos, de l’Université de Dortmund. Pendant des décennies, on a mené une politique de l’éducation au feeling, chaque Land dans son coin, en axant les priorités en fonction des majorités politiques.» Au début des années 2000, l’autonomie va particulièrement loin: chaque école définit son propre profil. Chaque professeur décide lui-même du contenu des examens passés par ses élèves. L’autonomie des établissements est telle qu’il est alors presque impossible à un lycéen de changer de Land en cours de scolarité.
«La première conséquence du choc Pisa a été la définition de critères standards, définissant ce qu’on attend des élèves à travers tout le pays», explique Manfred Prenzel, de l’Université technique de Munich. Les Länder se mettent notamment d’accord sur la définition d’épreuves communes pour la maturité et décident de tester à intervalles réguliers les élèves de 9 et de 15 ans, pour mesurer les efforts accomplis région par région. Le gouvernement Schröder a par ailleurs décidé d’un vaste programme de développement du nombre des écoles accueillant les élèves tout au long de la journée (modèle préféré à l’école en matinée longtemps vantée à l’étranger), et des places de crèche. Ces deux mesures sont considérées comme le meilleur garant dans la lutte contre l’exclusion scolaire des élèves défavorisés, souvent issus de l’immigration: ils apprennent l’allemand plus tôt, dès 3 ans, et suivent l’après-midi des cours de soutien si nécessaire. La formation des enseignants prévoit davantage de stages pratiques que par le passé et met plus l’accent sur la détection de points faibles tels que la dyslexie. Enfin, peu à peu, les Länder adoptent l’abandon de la Hauptschule, une filière voie de garage et sans perspectives réservée aux mauvais élèves dans les Länder les plus conservateurs.
«D’un côté, on a renforcé la centralisation au niveau des objectifs. De l’autre, on a donné davantage d’autonomie aux écoles pour les réaliser», résume Jörg Dräger, membre du directoire de la Fondation Bertelsmann.
Les directeurs d’école n’hésitent pas à recourir à des méthodes originales: des grands-parents se rendent dans les écoles primaires pour donner le goût de la lecture en lisant des histoires aux plus jeunes; des mères de famille font lire les élèves par petits groupes; les églises organisent des cours de soutien dans les écoles l’après-midi. «L’éducation n’est pas seulement une affaire d’école, c’est une affaire de société», insiste Jörg Dräger.