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«Entendre la colère légitime» mais assumer l’impopularité: Emmanuel Macron sort de son silence

Le président français était interviewé sur TF1 et France 2 après des semaines en retrait sur la réforme des retraites qu’il a fait passer en force au parlement, provoquant des manifestations de plus en plus violentes avant la grande journée de mobilisation de ce jeudi

64 variations sur l'intervention d'Emmanuel Macron au sujet de la reforme des retraites, le 22 mars 2023.  — © Hugo Clarence Janody / Hans Lucas
64 variations sur l'intervention d'Emmanuel Macron au sujet de la reforme des retraites, le 22 mars 2023. — © Hugo Clarence Janody / Hans Lucas

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Pour sortir de son pesant silence sur la très impopulaire réforme des retraites, c’est donc à l’heure du déjeuner qu’Emmanuel Macron s’est invité, à l’ancienne, dans les foyers qui regardent encore la télé à midi. Ce mercredi au travers d’une interview sur TF1 et France 2 diffusée en direct de l’Elysée, après le passage en force parlementaire et les débordements violents qui ont suivi dans la rue, il se devait de s’expliquer alors qu’une nouvelle grande journée de mobilisation syndicale s’annonce très suivie ce jeudi. L’enjeu étant de savoir si ce jour de grèves et de manifestations nationales sera le baroud d’honneur du mouvement ou le début d’une nouvelle phase de lutte, encore plus musclée.

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Le président français a commencé par mettre en avant le «parcours démocratique» de la réforme et sa dernière étape à venir selon lui: la décision du Conseil constitutionnel. Puis, l’entrée en application qu’il veut voir avant la fin de l’année. Il a ensuite répété les raisons économiques de cette réforme, absolument nécessaire selon lui, à qui elle «ne fait pas plaisir». Il ne pense pas l’avoir mal expliquée mais regrette – son seul regret – qu’elle n’ait pas été comprise et «de ne pas avoir réussi à convaincre sur sa nécessité». Pour lui, la crise est liée au fait que «le projet de toutes les oppositions, c’est le déficit», «une tendance à vouloir s’abstraire au principe de réalité».

Quant à la question du passage en force parlementaire via l’article 49.3 de la Constitution et le rejet de la censure du gouvernement à seulement neuf voix près, il y a répondu: «nous sommes en République à une voix près» et «il n’y a pas de majorité alternative». La première ministre Elisabeth Borne devra cependant «bâtir un programme de gouvernement» et «élargir» la majorité. Les priorités? L’école, la santé et l’écologie. Quant à la loi immigration qui a été retirée de l’agenda, elle sera découpée en plusieurs textes, ce qui déplaît à la droite, sa seule alliée potentielle.

«Endosser l’impopularité»

«Je ne cherche pas à être réélu, entre le sondage et l’intérêt général du pays, je choisis l’intérêt général», a aussi lancé Emmanuel Macron en affirmant qu’il «endossait l’impopularité». La méthode est assumée: «On va continuer à avancer à marche forcée.»

Le président a ensuite regretté «qu’aucune force syndicale n’ait proposé un compromis». «On nous a dit «aucune réforme!»», affirme-t-il. Les leaders syndicaux, y compris les plus modérés, n’ont pas tardé à traiter le président de menteur sur ce dernier point. «Déni et mensonge! La CFDT a un projet de réforme des retraites. Macron 2019 l’avait compris […] Macron 2023 refait l’histoire et ment […] pour masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste», a tweeté, très remonté, le patron de la CFDT Laurent Berger, personnage jugé le plus important dans le basculement des syndicalistes dits réformistes dans l’opposition musclée à la réforme du gouvernement.

Emmanuel Macron a enchaîné en affirmant «entendre la colère légitime» d’une grande partie de la population et s’engager à y répondre par des réformes sur le travail et la participation des grandes entreprises faisant des profits exceptionnels. Des chantiers à ouvrir car il y a «un besoin de justice». Le sens du travail, les petits salaires, l’usure professionnelle et les fins de carrière seront remis sur la table des négociations, a-t-il promis dans une déclaration d’amour pour le dialogue social – qui a été mis à mal ces derniers mois.

La gauche n’a cependant pas du tout été convaincue par cette prise de parole. «C’est hallucinant, il est dans un déni absolu», a déclaré le premier secrétaire du PS Olivier Faure. «Je crains qu’il n’ait mis plus d’explosif sur un brasier déjà bien allumé», a-t-il ajouté. Marine Le Pen, elle, a affirmé qu’elle voyait dans les réponses du président un mépris des Français et du parlementarisme qui débouchera selon elle bientôt sur une dissolution. Eric Ciotti, le président des Républicains qui devaient voter avec le camp présidentiel sur cette réforme mais dont les divisions ont posé problème, a quant à lui estimé que les solutions proposées par Emmanuel Macron dans cette intervention n’étaient «pas à la hauteur de la crise politique et économique» que vit la France.

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Avant cela, mardi, le président français avait passé une grande partie de sa journée à consulter: les chefs de sa majorité, les députés de son camp, les grandes figures de la République. «Pas de dissolution, pas de remaniement, pas de référendum», aurait-il dit. Et dans le bouquet des fuites bien orchestrées issues de cette journée de consultations, on évoquera aussi un appel à idées pour un «changement de méthode et d’agenda des réformes», une nouvelle prise de parole plus solennel dans les semaines ou mois qui viennent et, surtout, cette petite phrase, maladroitement tirée de son contexte ou volontairement clivante, quoi qu’il en soit très polémique: «La foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus.» Emmanuel Macron a tenu à «clarifier» ce qu’il voulait dire par là: «Les syndicats ont une légitimité, je les respecte» mais «à côté de ça, quand des groupes utilisent une extrême violence» là ce n’est plus légitime pour lui qui y voit le spectre des «factieux», des «factions» et de l’envahissement du Capitole à Washington. Pas de quoi calmer les plus remontés. Peut-être de quoi faire réfléchir les autres.

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