Entre Bruxelles et Berne, le choc des priorités
Europe
La volonté de Didier Burkhalter d’aller de l’avant sur le dossier de l’électricité et de consolider les accords fiscaux bilatéraux sera soumise à rude épreuve
«Nous connaissions les conditions. Nous attendons les propositions». A la Commission européenne, le ton est serein et ferme, dans l’attente de la lettre annoncée par Didier Burkhalter. La priorité accordée à l’énergie y est jugée «légitime», vue son importance stratégique pour l’Union européenne et son impact sur le marché de l’électricité. Les experts des deux parties y travaillent d’ailleurs depuis l’automne 2011.
Le flou entretenu sur l’éventuel «précédent» institutionnel qui pourrait être négocié dans ce cadre, puis servir pour d’autres accords, hérisse en revanche. Les interlocuteurs de la Confédération se réfèrent aux conclusions du Conseil européen de décembre 2010 sur la nécessité de simplifier et de rendre plus «dynamique» la relation bilatérale, jusque-là négociée par tranches sectorielles et gérée à coups de «comités mixtes» semestriels ou annuels.
«Il ne s’agit pas de créer un précédent et de voir si cela pourrait fonctionner, mais bien de s’entendre sur des principes juridiques qui seront repris tels quels dans d’autres domaines», précise l’un d’entre eux. En se rapprochant peu ou prou du modèle de l’EEE. «Il est temps d’en finir avec cette sorte de poker menteur s’énerve un autre. Soit la Confédération accepte la reprise la plus automatique possible de l’acquis et l’instauration d’une instance de surveillance et de contrôle compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne de Justice. Soit nous en restons là».
Cette fermeté vaut aussi pour les questions fiscales, sur lesquelles la Commission a bien conscience de ses faiblesses. La Suisse, rappelons-le, a jusque-là évité toutes rétorsions contre les régimes fiscaux cantonaux des entreprises jugés de longue date discriminatoires à Bruxelles. Berne a aussi joué très habilement en concluant avec l’Allemagne puis le Royaume-Uni les deux récents accords «Rubik», qui confortent le secret bancaire et la retenue à la source.
Les divisions entre pays membres, enfin, font patiner depuis bientôt deux ans la renégociation de la directive communautaire sur la fiscalité de l’épargne, afin d’en étendre le champ d’application. La Commission attend d’ailleurs toujours le mandat pour négocier avec la Confédération un nouvel accord, sur lequel Didier Burkhalter s’est redit ouvert. «Si nous étions les Etats-Unis, cela se saurait» ironisait encore ces jours -ci un responsable Bruxellois, alors que l’actuelle présidence tournante danoise a fait mardi référence aux concessions accordées par la Suisse à Washington.
Pour autant, Bruxelles ne se sent pas acculée. Le rapport juridique de la Commission sur les accords Rubik, resté confidentiel, démontre sans ambages que Berlin et Londres ont enfreint les compétences communautaires. D’où de possibles renégociations…
Le «code de bonne conduite fiscal», qui doit amener la Suisse à comparer sa fiscalité des entreprises à celle des pays de l’UE, puis à démanteler les régimes cantonaux problématiques au terme d’un «donnant donnant», resserre son étreinte. La question de la fiscalité de l’épargne, enfin, reste très politique, crise oblige. «La pression ne va pas diminuer sur ces sujets pronostique-t-on à l’institut d’études Bruegel. La Suisse a remporté une bataille avec Rubik, mais la guerre continue».
La conditionnalité établie par Didier Burkhalter entre une nouvelle aide suisse aux nouveaux pays membres et l’avancée des autres dossiers n’est, enfin, pas jugée très opportune à l’heure où les pays émergents sont appelés financièrement à la rescousse par l’UE. D’autant que de leur côté, les pays de l’EEE aident la Grèce à hauteur de 60 millions d’euros et que la Norvège vient de rajouter sept milliards à sa contribution au FMI pour le sauvetage de la zone euro.