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Entre l’Ethiopie et Djibouti, la renaissance du train du négus

Dix ans après la fin du chemin de fer français entre l’Ethiopie et Djibouti, une ligne électrifiée, construite par la Chine, relie à nouveau les deux pays. Les attentes en termes de retombées économiques sont fortes

Des employés chinois de la nouvelle ligne de chemin de fer entre l'Ethiopie et Djibouti. — © TIKSA NEGERI/Reuters
Des employés chinois de la nouvelle ligne de chemin de fer entre l'Ethiopie et Djibouti. — © TIKSA NEGERI/Reuters

Ses derniers souvenirs de locomotive remontent à l’enfance. A la gare de Lebu, à 10 km du centre d’Addis-Abeba, Biruk Bekele attend avec impatience le départ du train. «J’avais 7 ou 8 ans quand j’ai pris un train la dernière fois, raconte-t-il, confortablement assis sur son siège. Ensuite ça s’est arrêté du jour au lendemain.» Sur la route, à travers la fenêtre, on aperçoit encore l’ancienne ligne de chemin de fer, impulsée par l’ingénieur suisse Alfred Ilg et construite par les Français à la fin du XIXe siècle. Après ses heures de gloire sous le règne du dernier empereur d’Ethiopie, le négus Haïlé Sélassié (1930-1936 et 1941-1974), elle a progressivement dépéri et ne fonctionne plus aujourd’hui que sur quelques dizaines de kilomètres. Le terme «chemin de fer» est resté dans la langue amharique. Mais la France a perdu son rôle dans la conception ferroviaire.

Sur les nouvelles Routes de la soie

La ligne électrifiée de 756 km, entrée en service début janvier, a été construite en quatre ans par deux entreprises chinoises et reflète la place désormais prépondérante de la Chine dans la région. Le projet a coûté près de 4 milliards de dollars, dont 70% ont été prêtés par la banque chinoise Exim à l’Ethiopie et à Djibouti. Un prêt sur 15 ans que les deux pays vont bientôt devoir rembourser. Preuve de son influence, la Chine a parallèlement ouvert une base militaire à Djibouti l’année dernière. Les Etats-Unis craignent qu’elle ne récupère également le contrat de concession portant sur le terminal de conteneurs de Doraleh, récemment rompu avec l’opérateur émirati DP World. Pour cet acteur incontournable de l’économie mondiale, Djibouti est devenu un passage stratégique des nouvelles Routes de la soie, offrant une porte d’entrée vers le marché éthiopien et ses 100 millions d’habitants.

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Depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993 et la guerre de 1998-2000, l’Ethiopie a perdu son principal accès à la mer. Aujourd’hui 90% de ses importations et exportations passent par Djibouti. Les conteneurs sont acheminés par camion en deux jours contre douze heures en moyenne par voie ferrée. Pour l’instant, seuls trois trains de marchandises circulent par semaine, ce qui reste insuffisant pour désengorger la route transfrontalière fréquentée par plus d’un millier de camions par jour. Mais les autorités espèrent, à terme, augmenter la cadence des voyages et transporter 4 à 5 millions de tonnes de marchandises chaque année par le rail.

Des gares colossales à l’écart des centres-villes

Dans les wagons passagers, une dizaine d’hôtesses éthiopiennes sont encadrées par le personnel asiatique, censé former les employés locaux en six ans. Wagon-bar, couchettes, tout est prévu pour agrémenter le temps du voyage, qui s’allonge au gré des coupures d’électricité ou des passages du bétail sur la voie unique. Pour l’instant, cinq gares, sur les dix-neuf prévues, sont desservies par le train. Chaque gare, façonnée sur le même modèle, se dresse de manière colossale, parfois au milieu de zones désertes, à l’écart des centres-villes. C’est le cas à Dire Dawa, deuxième ville du pays. Après huit heures de transport, la plupart des voyageurs descendent à cette gare, située à mi-distance entre la capitale éthiopienne et Djibouti.

Pour l’instant, seuls trois trains de marchandises circulent par semaine, ce qui reste insuffisant pour désengorger la route transfrontalière

La ville est née du chemin de fer, créé par les Français, et vit encore au rythme d’une sirène, qui retentit dans toute la commune au début et à la fin de la journée de travail des ouvriers de la compagnie ferroviaire historique. Malgré ses cent ans, elle perdure aux côtés de la compagnie éthio-djiboutienne, récemment fondée. Dans les ateliers de maintenance, des cheminots continuent de réparer des pièces sur des machines hors du temps. «Avant, il y avait plus de 60-70 travailleurs dans cet atelier, se souvient Fantahun Bekele, qui a été conducteur pendant plus de vingt ans sur l’ancienne ligne, maintenant ils ne sont même pas dix.»

Survivance du train historique

Parmi les 2500 employés au plus fort de l’activité, beaucoup ont dû faire face au chômage. Fantahun Bekele, qui a appris le français au sein de l’entreprise, a eu la chance de retrouver un emploi à l’Alliance française locale. Ceux qui ont gardé leur poste se battent encore coûte que coûte pour faire rouler le train d’époque deux fois par semaine entre Dire Dawa et la frontière djiboutienne. «Je suis très triste car le chemin de fer était la mère de Dire Dawa, tous les habitants vivaient du train, regrette Fantahun Bekele. La deuxième maman, c’est le nouveau chemin de fer des Chinois, mais il n’y a pas la même relation avec la population, c’est loin d’ici, 10 kilomètres. Pour aller à la gare c’est 200 birrs en taxi (7 CHF), c’est pour les riches!»

Enfant lui aussi de l’ancien chemin de fer, Tilahun Sarka sait qu’il a encore beaucoup à faire pour convaincre les communautés traversées par le nouveau train de ses bienfaits. Le directeur de la compagnie éthio-djiboutienne compte notamment embaucher au sein de ces populations. Il se donne un an pour y parvenir.