C’est sûr: entre la Suisse et la Chine, les relations sont au beau fixe au seuil de la visite du président Xi Jinping. L’incident diplomatique de 1999, lorsque des manifestants pro-tibétains avaient troublé la réception de son prédécesseur Jiang Zemin à Berne, est oublié. Pourtant, des malaises plus ou moins avoués subsistent. Le rachat d’un des fleurons de l’agrochimie suisse, Syngenta, par ChemChina pour 43 milliards de dollars, fait grincer des dents. La Commission européenne doit se prononcer d’ici le 17 mars.

Ouvertement, personne ne s’y oppose. Seul le magazine «Bilanz» a haussé le ton en septembre dernier en parlant «d’attaque» des Chinois sur l’économie suisse. Au sein de l’UE, le discours est plus critique. «Nous estimons que deux tiers des rachats d’entreprises européennes par des compagnies chinoises sont soutenues par l’État. Il s’agit là clairement d’une distorsion de concurrence», accuse un diplomate européen.

«Inégalité de traitement»

Dans les milieux économiques suisses, personne ne va aussi loin. Homme d’affaires, diplomate et collectionneur d’art connaissant la Chine depuis près de 40 ans, Uli Sigg avoue avoir pourtant ressenti un «léger malaise» dans un premier temps à l’annonce du rachat de Syngenta. «Il est vrai qu’il y a inégalité de traitement lorsqu’une entreprise européenne ne peut pas racheter aussi facilement une société chinoise que dans le cas contraire», concède celui qui a été l’artisan de la première joint-venture qu’une entreprise étrangère – Schindler en l’occurrence – a pu réaliser avec une société chinoise en 1980. «Mais nous devons être cohérents avec nous-mêmes. Lorsque Swisscom, propriété de la Confédération à 51%, reprend une société italienne, personne n’y trouve rien à redire». Depuis plus d’un siècle, la Suisse a bâti sa prospérité sur une politique libérale du commerce et des investissements.

Concernant ceux-ci, la Chine a divisé son économie en quatre secteurs, dont le dernier – qui touche notamment l’armement, la poste, le tabac, l’information et l’internet – est tabou pour les étrangers. Malgré cela, la Suisse est très présente dans l’Empire du Milieu, dont elle est le vingtième partenaire commercial grâce aux quelque 800 à 1000 entreprises et filiales, selon la chambre de commerce Suisse-Chine à Pékin. Dans l’ensemble, l’accord de libre-échange entré en vigueur en 2014 donne des résultats positifs, selon son directeur Romain Barrabas. Celui-ci rappelle qu’il n’y a pas que le gouvernement chinois qui protège certains secteurs économiques jugés «stratégiques». L’Allemagne et les Etats-Unis viennent d’intervenir pour s’opposer à des investisseurs chinois.

Le marché chinois est devenu «très dur»

Cela dit, la réalité vécue par ces diverses entreprises peut être très différente de l’une à l’autre. Alors qu’un patron y occupant plus de 500 personnes déclare n’y avoir «jamais connu de gros problèmes», le vice-président de l’association «economiesuisse» Bernard Rüeger avoue que le marché chinois est devenu «très dur». Sa PME de Crissier, qui produit des capteurs de température, y a créé une joint-venture avec une participation majoritaire de 60% en 2006 à Pékin. Depuis, les coûts salariaux ont été multipliés par quatre et les loyers par huit. «Nous sommes en train de fermer notre site de production en Chine pour le déplacer en Malaisie, où les salaires sont moins élevés et les employés plus fidèles», relève Bernard Rüeger.

Du côté politique, la droite se montre plus libérale que la gauche. Jean Christophe Schwaab (PS/VD), qui ne comprend pas que le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann assiste passivement à la reprise de Syngenta par ChemChemie, propose de créer un organe sur le modèle du CFIUS (Comitee on Foreign Investment in the United States) américain. «La Suisse est probablement le seul pays à ne pas se poser la question de la perte d’une entreprise stratégique», déplore-t-il. Autre son de cloche chez Christa Markwalder (PLR/BE), qui a participé en juillet 2016 à l’Eco-Forum Global à Guyiang. «Nous devons justement profiter de la qualité de notre relation bilatérale pour aborder les questions qui fâchent, comme celle des conditions-cadres équivalentes pour l’économie ou celle des droits humains».