Le premier ministre turc en meeting électoral à Berlin

La dernière fois qu’il s’était adressé à ses concitoyens vivant en Allemagne, Recep Tayyip Erdogan avait provoqué un vif débat en République fédérale. C’était à Cologne, en 2008. Le premier ministre turc avait demandé aux turcophones allemands de «résister à l’assimilation», comparée à un «crime contre l’humanité». L’Allemagne était alors en plein débat sur l’intégration, et il avait fallu des mois pour calmer les confusions nées de cette discussion.

Mardi soir, Recep Tayyip Erdogan devait de nouveau s’adresser à ses concitoyens, à Berlin cette fois, dans le quartier de Kreuzberg, où vit une grande partie de la minorité turque de la capitale. Plusieurs milliers de personnes étaient attendues pour cette rencontre aux allures de meeting électoral baptisée «Berlin rencontre le grand maître».

Trois millions de Turcs vivent en Allemagne, la plus forte communauté turque à l’étranger. La moitié d’entre eux sera autorisée à voter en août prochain à l’élection présidentielle, la première au suffrage universel. Des bureaux de vote seront répartis à travers les 13 consulats turcs de la République fédérale, mais aussi dans des salles louées à cet effet. Jusqu’à présent, les Turcs vivant à l’étranger de­vaient se rendre en Turquie pour exercer leur droit de vote. Recep Tayyip Erdogan, qui n’a pas encore révélé ses intentions, pourrait être candidat au poste suprême. Les Turcs d’Allemagne ne sont en revanche pas autorisés à voter lors des municipales du 30 mars, considérées comme un test en vue de la présidentielle. Une candidature de Recep Tayyip Erdogan au scrutin présidentiel est considérée comme assurée si l’AKP remporte 40% des suffrages aux municipales.

La communauté turque d’Allemagne est majoritairement conservatrice, mais aussi très divisée. De nombreux alévis, Kurdes et Arméniens vivent en République fédérale, souvent hostiles au régime d’Ankara. Hier, trois manifestations différentes étaient organisées dans la capitale pour protester contre la venue de Recep Tayyip Erdogan: l’une pour protester contre le scandale de corruption au sein du parti du premier ministre, l’autre pour dénoncer les persécutions à l’encontre des alévis, une troisième pour critiquer l’islamisation de la Turquie.

Merkel toujours sceptique

Dans la matinée, Recep Tayyip Erdogan s’est entretenu avec Angela Merkel, plaidant une fois de plus pour un soutien plus important de l’Allemagne dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, assurant que l’Europe y trouverait des avantages. «Une entrée de la Turquie dans l’UE apporterait une contribution considérable à la paix régionale et mondiale», a insisté le chef du gouvernement turc. La chancelière n’a une fois de plus pas caché son scepticisme: «Ce n’est pas un secret, et je n’ai pas changé de position, que je suis à titre personnel très sceptique à ce sujet.»

La position du gouvernement ­allemand pourrait toutefois s’infléchir avec la présence de ministres sociaux-démocrates au sein du gouvernement. Hier après-midi, Recep Tayyip Erdogan a rencontré le chef du SPD, Sigmar Gabriel, et le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, bien décidé à reprendre en main les rênes de la diplomatie allemande passées à la Chancellerie du temps de son pâle prédécesseur libéral, Guido Westerwelle.

La crise syrienne figurait également au menu de la rencontre. Les deux chefs de gouvernement ont appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à agir pour soulager la crise des réfugiés, regrettant l’échec de la conférence de Genève. Quelque 700 000 Syriens se sont réfugiés en Turquie; 28 000 ont été accueillis en Allemagne.