Pourquoi ce «fonds d’urgence européen»?
Les marchés financiers n’ont que faire des déclarations. Ils s’engouffrent par nature dans les failles, et détestent les mauvais payeurs, ou ceux qui risquent de le devenir.
Les décisions prises hier à Bruxelles, pas encore confirmées à l’heure d’écrire ces lignes, sont le complément du plan de sauvetage de la Grèce – 110 milliards d’euros débloqués conjointement avec le FMI, avec l’Allemagne comme premier contributeur (22 milliards) – définitivement approuvé vendredi par les chefs d’Etat ou de gouvernement de la zone euro. Elles ont consisté à «bétonner» le terrain des besoins en liquidités pour écarter toute hypothèse de «défaut de paiement» d’un pays doté de la monnaie unique. Et par conséquent le risque de cascade qui en découle pour les quinze autres Etats ayant adopté l’euro.
Quels sont ces «remparts» supposés résister à l’assaut des spéculateurs?
Premier volet: tous les pays membres de l’Eurogroupe pourraient désormais bénéficier d’une aide exceptionnelle, mise en œuvre par la Commission européenne. Laquelle aura ensuite l’obligation de se faire rembourser. Le dispositif initial porte sur un montant de 60 milliards d’euros, que la Commission emprunterait sur le marché des capitaux par l’émission d’obligations européennes. Ceux-ci s’ajouteront à l’enveloppe de 50 milliards d’euros déjà existante pour venir en aide aux pays restés hors de la monnaie unique (dont a, entre autres, bénéficié la Hongrie en octobre 2008). Des diplomates européens confiaient dimanche soir que la capacité de prêts européens ouverte par la constitution de ce fonds se chiffrerait à terme «à des centaines de milliards».
Deuxième volet: la solidarité inter-Etats membres est gravée dans le marbre. Les pays confrontés à de grandes difficultés financières pourraient, comme le prévoit le Traité de Lisbonne, bénéficier de prêts bilatéraux (sur le modèle de l’aide à la Grèce) ou de garanties d’autres Etats membres pour continuer à emprunter. Ce qui devrait, troisième volet, conduire la Banque centrale européenne (BCE) à intervenir également en acceptant de prendre en dépôt des obligations…
S’agit-il d’un «Fonds monétaire européen»?
Mais l’appellation «Fonds monétaire européen» – une idée avancée très tôt par le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, hospitalisé hier en urgence à Bruxelles et remplacé par son collègue de l’Intérieur – n’a pas été retenue. Sans doute par crainte de «stigmatiser» les éventuels pays emprunteurs. Aussi par manque de précision, pour l’heure, sur les conditions et les sanctions applicables aux Etats demandeurs.
L’Allemagne, qui a traîné des pieds pour payer la facture grecque, a en effet toujours refusé un mécanisme de garantie «automatique», qui grave dans le marbre communautaire l’entraide budgétaire entre Etats membres. Motif: s’il ne s’accompagne pas de sanctions drastiques, celui-ci ouvrira la porte à de futurs dérapages des pays les plus dépensiers.
Qui va en bénéficier?
En réalité, tous les membres de l’UE, puisque le nouveau dispositif adopté dimanche complète le «mécanisme de stabilisation» existant pour les pays non membres de la zone euro, et déjà utilisé fin 2008 pour venir en aide à la Hongrie et à la Lettonie surendettées.
La nouveauté, de taille, consiste à mettre la Commission au centre du jeu, alors que l’Eurozone est une entité en théorie distincte. Quant au verdict, il est clair: malgré l’existence du Pacte de stabilité et des fameux «critères de convergence de Maastricht» (qui limitent officiellement les déficits publics et prévoient des sanctions), les pays dotés de la monnaie unique admettent la possibilité de se trouver incapables de faire face seuls à leurs échéances.