Tourisme
Les hordes de visiteurs qui débarquent cet été provoquent un ras-le-bol, notamment en Catalogne. Plusieurs agressions contre les visiteurs ont eu lieu ces derniers jours. Elles sont le fait d’une petite minorité, mais l’importance du secteur touristique leur offre une caisse de résonance non négligeable

Attaques contre des boutiques de location de vélos, cris menaçants poussés devant plusieurs hôtels de la vieille ville, graffitis peinturlurés sur des établissements touristiques du type: «Stoppons les roues du capital», «défendons les quartiers contre cette plaie!», «Tourist, go home!»… A Barcelone, l’une des villes les plus visitées d’Europe, le groupuscule anticapitaliste Endavant ne se limite pas à commettre des agressions de toutes sortes contre les flots de visiteurs qui se déversent sur la capitale catalane, il les filme et met les vidéos en ligne sur ses réseaux sociaux.
Aturem les rodes del capital !
— Endavant CiutatVella (@endavantcv) 4 août 2017
Defensem els barris.#AutoDefensa #ProuBarricidi
No és #turismofòbia, és lluita de classes. pic.twitter.com/S9VZpQckGq
Ces militants radicaux ne sont pas les seuls: depuis fin juin, en Catalogne, ainsi qu’à Valence et aux Baléares, le collectif Arran, lui aussi anticapitaliste et revendiquant une «grande Catalogne», se livre à de semblables amabilités, qui se laissent voir pareillement sur Internet: lancers de confettis sur des touristes en terrasse, manifestation sur le port de plaisance de Palma de Majorque interdisant l’accès aux yachts, irruption vociférante dans plusieurs restaurants du centre-ville de Palma, assaut donné à un bus à Barcelone…
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Les institutions, l’hôtellerie tout entière et les médias espagnols dénoncent à l’unisson ces «actes de vandalisme» (voir ci-dessous le tweet du quotidien espagnol El País). «Quels que soient les motifs et les revendications des radicaux, enrage Pilar Carbonell, directrice générale du tourisme aux Baléares, mettre en danger la vie de ceux qui nous rendent visite ne peut avoir la moindre once de légitimité.» Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a quant à lui condamné les actes menés par «des extrémistes» qui, a-t-il dit, vont «à l’encontre du bon sens». La maire de gauche de Barcelone Ada Colau a assuré hier que les «faits feront l’objet d’enquêtes et les responsables devront répondre devant la justice».
. @Arran_jovent demana expropiar hotels, parcs temàtics i centres comercials https://t.co/nBPOCMP4eM
— El País Cat (@elpaiscat) 6 août 2017
L’Espagne tremble
Même si ces événements ne sont le fait que d’une extrême minorité (le mouvement Arran, par exemple, ne compte que 500 membres), l’Espagne tremble: la caisse de résonance est bien supérieure aux actes de vandalisme en eux-mêmes. Or, a fortiori au beau milieu de l’été, ce secteur, qui a toujours été un pilier de l’économie nationale, n’a jamais été aussi crucial.
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Alors que l’Espagne lutte pour retrouver sa vitalité d’avant la crise économique de 2008, c’est le tourisme qui soutient la croissance et l’emploi. Les chiffres du premier semestre de cette année, tout juste publiés, donnent une idée de cette extrême dépendance: 36,3 millions de personnes ont visité l’Espagne, 14,8% de plus que l’an dernier. Soit 10% du PIB et deux millions d’emplois. Rien qu’en Catalogne, le tourisme génère quelque 50 milliards d’euros.
Ces «actes de vandalisme» sont un phénomène moins isolé qu’il n’y paraît. Tout d’abord parce que ces groupuscules appartiennent à la CUP, un mouvement anticapitaliste et séparatiste qui lui-même exerce une forte influence sur l’actuel processus souverainiste en Catalogne qui doit déboucher, le 1er octobre, sur un référendum d’autodétermination que Madrid rejette. Leur credo: si cette région est nôtre, ne laissons pas les touristes la dénaturer.
🛬Compartim la preocupació pel model turístic, basat en un model de capitalisme ferotge i destructor... https://t.co/fwf8DjqrsD pic.twitter.com/9QE5pZFf1W
— CUP Palma (@cup_palma) 5 août 2017
Ensuite et surtout parce que ces mini-commandos «touristophobes» expriment avec violence un ras-le-bol généralisé en Espagne – et dans bien d’autres pays européens (voir plus bas): les afflux massifs de visiteurs transforment les quartiers, rendent la vie chère, poussent des habitants à s’exiler en périphérie, modifient les types de commerce.
«Décroissance touristique» en vue
«Les touristes ne sont pas le problème, ils seront toujours les bienvenus, souligne Janet Sanz, chargée de l’urbanisme à la mairie de Barcelone. Le problème, c’est le modèle de développement touristique qui nuit au tissu urbain et son authenticité.» Depuis deux ans, la municipalité dirigée par Ada Colau, une ancienne militante contre les expulsions immobilières, se bat contre la multiplication des appartements touristiques, très souvent sans licence, qui s’offrent sur les plateformes de logements saisonniers. Un Plan d’urbanisme, approuvé au printemps, prévoit une «décroissance touristique» dans les quartiers centraux.
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Quoique le sentiment de saturation soit national, il s’exprime avant tout dans les régions touristiques où le nationalisme est fort. D’où le fait que les manifestations de rejet – symboliques ou violentes — se cantonnent dans les zones catalanophones et de plus en plus au Pays basque. Saint-Sébastien, avec ses 180 000 habitants pour deux millions de touristes en 2016 – deux fois plus qu’en 2011 –, voit sa vieille ville débordée par des hordes de visiteurs et 280 appartements touristiques, illégaux pour la plupart. «Tourist go home!», peut-on lire sur des murs de dédale de rues historiques. La branche juvénile du parti séparatiste Sortu a annoncé pour le 17 août – lorsque commenceront les fêtes annuelles de la ville — une grande marche contre «le tourisme envahissant».
L’hostilité face aux touristes: un tour d’horizon
L’Espagne n’est pas un cas isolé: le tourisme en Europe du Sud a connu un vif regain ces deux dernières années, notamment parce que d’autres destinations classiques, comme la Tunisie, l’Egypte et la Turquie, ont été délaissées pour des raisons de sécurité. De Rome à Dubrovnik, les populations locales subissent les conséquences pour leur cadre de vie de la venue d’un nombre croissant de visiteurs.
En Italie, le nombre de visiteurs n’a augmenté que de 1% en 2016, à quelque 56 millions de visiteurs. Mais les nuitées en hôtel sont en forte hausse au premier semestre de cette année (+4,8%). Et entre 2009 et 2015, le nombre de visiteurs se pressant à Rome, Florence et Venise a progressé de 31,5%. Face aux accès de colère, les autorités des villes concernées ont été amenées à réagir.
A Rome, la municipalité envisage de limiter le nombre de visiteurs dans certains lieux emblématiques de la ville éternelle, comme la fontaine de Trevi.
Le mois dernier, des habitants de Venise ont manifesté au milieu d’une foule de visiteurs pour dénoncer le tourisme échappant à tout contrôle.
Protestas en Venecia contra la turistificación. Más de 10 años llevan haciéndolo. pic.twitter.com/HHhhTEJFZr
— Antonio Maestre (@AntonioMaestre) 5 août 2017
La municipalité a expérimenté le mois dernier une limitation d’accès à certains quartiers de la cité des Doges. Certains proposent même de faire payer l’accès à la place Saint-Marc, un des joyaux de la ville. «Cette ville a totalement perdu son identité», déplore l’acteur Alessandro Bressanello, membre du 25-Avril. «Tout le monde devrait pouvoir venir ici, mais cette invasion crée de vrais problèmes pour les Vénitiens et pour la ville, elle crée des montagnes de détritus et des volumes infinis de bruit.»
En Croatie, le tourisme a bondi de 10,5% en un an. Dubrovnik, sur la côte adriatique, étudie la possibilité de limiter le nombre de paquebots. La ville, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, est l’une des principales destinations locales. A la haute saison, elle est prise d’assaut et il faut jusqu’à 40 minutes pour parcourir les 300 mètres de la zone piétonne à l’intérieur des remparts. Et, comme à Venise, la population locale vivant intra-muros diminue. (AFP)