A l’heure où le Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé est réuni à Genève pour une semaine, Wolfgang Wodarg continue d’asséner ses critiques au vitriol: «Le problème avec l’OMS, c’est qu’elle a modifié la définition d’une pandémie. Elle a supprimé dans cette même définition la notion de maladies graves et de haute morbidité/mortalité. Du coup, on peut déclarer une pandémie chaque année sur la base d’une simple grippe.»
Population sceptique
Médecin et épidémiologiste, Wolfgang Wodarg est à la tête de ceux qui pensent que l’OMS a surréagi par rapport à la grippe A(H1N1) en raison de ses liens incestueux avec l’industrie pharmaceutique. Celle-ci ayant beaucoup investi d’argent dans la recherche sur les vaccins, elle avait conclu des contrats avec différents Etats qui n’entraient en vigueur qu’en cas de pandémie déclarée.
Membre de la commission Social et Santé du Conseil de l’Europe, le médecin allemand s’est engagé pour qu’une enquête soit menée sur les liens entre les pharmas et l’OMS. Mais aussi entre les scientifiques et l’agence onusienne. «Il n’y a pas que des politiques qui dénoncent la situation, soulève Wolfgang Wodarg. La population elle-même ne croit plus dans les scientifiques. Une preuve? Elle a en grande partie refusé de se faire vacciner.»
Conseiller spécial de la directrice de l’OMS pour la grippe pandémique, Keiji Fukuda réfute toute manipulation du terme pandémie. Il reconnaît que la formulation varie quelque peu d’un cas à l’autre. Mais il rappelle qu’une pandémie répond toujours à la même idée: celle d’une propagation mondiale d’une maladie ou infection. Le conseiller spécial ajoute que l’OMS «n’a jamais inclus dans la définition la sévérité» du virus.
Aujourd’hui, l’ex-député allemand au Bundestag le confie au Temps: «Nous demandons que l’OMS fasse preuve de plus de transparence. Mais elle n’est pas la seule en cause. Les gouvernements nationaux ont aussi leur part de responsabilité. Ils ont aussi échoué à améliorer le mode de fonctionnement de l’OMS.» C’est peut-être la raison pour laquelle les Etats membres de l’OMS ont épargné lundi la directrice de l’OMS, Margaret Chan. La critiquer, c’était risquer l’effet boomerang.
Hier, devant le Conseil exécutif de l’organisation, Margaret Chan a tenu à circonscrire les attaques. Elle a déclaré qu’une commission d’experts indépendants allait évaluer de façon «très large» la réaction de l’OMS à la pandémie et soumettre ses premières conclusions aux ministres de la Santé en mai prochain. La Chinoise a ajouté que la commission analysera le système d’alerte pandémique ainsi que les questions liées à la virulence et à l’étendue géographique du virus. «Il est normal que chaque décision soit examinée de près, estime Margaret Chan. L’OMS n’opposera aucune restriction à ce type d’investigation.»
La directrice de l’agence onusienne a relevé hier à Genève que l’OMS avait prévu qu’il y aurait des problèmes pour produire des vaccins à temps. Mais elle a reconnu que son organisation n’avait pas «prévu que les gens décideraient de ne pas se faire vacciner. […] Inciter les gens à adopter un comportement sûr est l’un des plus grands défis de santé publique.»
Grands profiteurs
Quoi qu’il en soit, Wolfgang Wodard juge une enquête nécessaire, d’autant que «les pharmas ont été les grands profiteurs de la pandémie». Le membre du Conseil de l’Europe rappelle que tous les Etats n’ont pas cédé à la «psychose» provoquée par l’agence onusienne: «Certains Etats ont refusé l’alarmisme de l’OMS. Des Etats comme la Pologne n’ont pas acheté de vaccins. Le Luxembourg a aussi mis en garde contre tout accès de panique.» En France, les sénateurs vont auditionner mercredi les entreprises pharmaceutiques pour tenter d’y voir clair. Paris avait commandé 94 millions de doses de vaccins avant de résilier certains contrats pour faire taire la polémique qui a éclaté dans l’Hexagone.