Les Etats-Unis convient la Chine au large

Pacifique Un énorme exercice naval a débuté jeudi dans le Pacifique

Washington y a invité Pékin pour la première fois

Et voici venue la diplomatie navale! Les Etats-Unis et la Chine, dont les relations ont connu de fortes tensions ces derniers mois, ont entamé jeudi au large de Hawaii des manœuvres militaires conjointes. Les deux pays vont mêler leurs flottes de guerre ­jusqu’au 1er août au cœur de l’océan Pacifique dans le cadre de l’exercice Rimpac (Rim of the Pacific), le plus important entraînement international jamais accompli en mer. Une grande première qui a pour double but de mieux accorder les deux marines et de rapprocher un peu les deux pays.

Les Etats-Unis organisent ces exercices de longue date. Ils ont commencé en 1971, durant la Guerre froide, dans le but de favoriser la coordination de leur marine de guerre avec celles de leurs plus proches alliés, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce dans la perspective d’un possible affrontement naval avec l’Union soviétique. Ces grandes manœuvres ont eu lieu depuis tous les deux ans, incluant toujours plus de participants, y compris, en 2010, la Russie.

L’exercice Rimpac 2014, le 24e du genre, est colossal. Il mobilise pendant plus d’un mois 49 bâtiments de surface, six sous-marins, plus de 200 avions et quelque 25 000 soldats. Des forces qui ne représentent pas moins de 22 pays: des membres de l’OTAN (comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France), des non-membres très proches de Washington (comme l’Australie, le Japon et la Corée du Sud), des pays d’Amérique latine (tels le Brésil, la Colombie et le Chili), des pays de l’Asie du Sud-Est (tels l’Indonésie, la Malaisie et Singapour), l’Inde et, last but not least, la Chine. Une Chine représentée par quatre bâtiments, un destroyer, une frégate, un tanker et un navire-hôpital, à bord desquels servent 1100 marins.

Cette première participation chinoise est d’autant plus frappante que les contentieux se sont multipliés dernièrement entre la Chine et les Etats-Unis ou leurs alliés dans la région. De la décision de Pékin d’établir une «zone d’identification aérienne» au-dessus d’îlots revendiqués par le Japon ou d’établir une plateforme pétrolière près des rives du Vietnam au refus de Washington de remettre en cause le statu quo et au transfert massif de troupes américaines en Asie orientale.

A la crainte américaine d’un expansionnisme chinois répond la peur chinoise d’un encerclement américain (une version moderne du «containment» mis en place par les Etats-Unis contre l’Union soviétique). Washington et Pékin se laissent encore cependant le bénéfice du doute. Le président Barack Obama veut toujours croire que l’ascension de la Chine restera pacifique. Et son homologue chinois Xi Jinping espère toujours que la Maison-Blanche finira par se montrer plus compréhensive.

Soucieux de favoriser un minimum de confiance mutuelle, les deux pays s’emploient actuellement à resserrer leurs liens dans le domaine très sensible de la défense. La quasi-collision d’un croiseur américain avec un bâtiment chinois en mer de Chine du Sud en décembre dernier a opportunément rappelé qu’un incident pouvait vite arriver. Or, ce genre de problème est susceptible de dégénérer rapidement si des garde-fous n’ont pas été préalablement posés. Si le risque de malentendus, notamment, n’a pas été écarté par l’établissement de canaux fiables de communication et de relations personnelles directes entre les deux parties.

Les armées des deux pays coopèrent déjà dans certaines circonstances. Y compris en mer, dans le golfe d’Aden, où leurs flottes collaborent contre la piraterie. En participant à l’exercice Rimpac 2014, elles se donnent non seulement l’occasion de s’exercer ensemble à des missions de sécurité «non traditionnelles» comme la lutte contre le terrorisme, la recherche et le sauvetage. Elles approfondissent aussi leurs relations en permettant à certains de leurs officiers de marine de se côtoyer pendant plusieurs semaines. Et c’est sans compter que les militaires chinois sont ainsi amenés à côtoyer certains de leurs adversaires régionaux directs, japonais ou philippins.

Les intentions des deux parties – on s’en doute – ne sont pas entièrement pacifiques cependant. Les Etats-Unis ont vu d’un mauvais œil ces dernières années la répétition de manœuvres navales russo-chinoise et souhaitent empêcher Moscou de garder l’exclusivité de ce type d’exercices avec Pékin. De son côté, la Chine entend profiter de la circonstance pour s’imposer comme puissance maritime dans le Pacifique aux yeux de ses voisins.

Et puis, les bateaux chinois et américains sont remplis d’espions qui ne perdront pas une occasion de glaner des informations sur le matériel et le savoir-faire de leurs «partenaires». Le Congrès américain a voté en 2000 une loi qui interdit les contacts susceptibles de «créer un risque pour la sécurité nationale en raison d’une exposition inappropriée». La participation chinoise se limitera donc, en fait, aux exercices les moins sensibles. Washington n’entend pas traiter la Chine comme une ennemie. De là à la considérer comme une amie, il y a un pas.

Les bateaux sont remplis d’espions qui ne perdront pas une occasion de glaner des informations