Arme nucléaire
Les numéros deux de la diplomatie russe et américaine Sergueï Ryabkov et Wendy Sherman se rencontrent ce mercredi au bout du Léman pour entamer leur premier dialogue sur la stabilité stratégique. Un impératif au moment où la dissuasion nucléaire devient obsolète

Un peu plus d’un mois après le sommet Biden-Poutine de Genève, Américains et Russes se retrouvent ce mercredi à Genève pour une rencontre cruciale pour la sécurité de la planète. Les numéros deux de la diplomatie américaine et russe, Wendy Sherman et Sergueï Ryabkov vont tenir leur premier dialogue sur la stabilité stratégique. C’est le principal résultat concret du sommet du 16 juin à la Villa La Grange.
Moment grave
Si les relations entre Moscou et Washington demeurent mauvaises, les deux puissances doivent s’entendre sur de nombreux dossiers sensibles pour réduire le risque de cataclysme atomique. Le rendez-vous genevois est bien davantage des consultations que de véritables négociations. Le moment est grave. La pandémie de covid a eu son impact sur la question. Dans le cadre du nouveau Traité Start de réduction des armes stratégiques, aucune inspection mutuelle des arsenaux n’a eu lieu entre les deux plus grandes puissances nucléaires mondiales – elles détiennent à elles deux plus de 90% des arsenaux mondiaux – depuis février 2020, explique Andreï Baklitskiy, chercheur à l’Institut d’études internationales de l’Université MGIMO du Ministère russe des affaires étrangères.
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Or, constate Marc Finaud, chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), «tous les clignotants sont au rouge en termes de risques. La situation actuelle est très dangereuse. Les grandes évolutions technologiques de ces dernières années remettent sérieusement en question la stabilité stratégique du monde. Si l’on songe à l’informatique quantique et à l’intelligence artificielle, aux missiles à faible puissance et de croisière qui sont développés, la dissuasion nucléaire devient obsolète.» Le seuil nucléaire à partir duquel un pays pourrait déclencher une attaque atomique a baissé.
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C’est tout l’enjeu du dialogue de Genève qui devrait durer très probablement un jour, peut-être deux: Moscou et Washington doivent mettre tout sur la table pour préserver un équilibre stratégique. C’est d’autant plus nécessaire que le risque de dérapage est aujourd’hui décuplé. Des cyberattaques sont susceptibles de créer des fausses alertes. Or quand on sait qu’environ 2000 armes nucléaires russes et américaines peuvent être activées en l’espace de dix minutes, on prend la mesure du danger.
Biden plus raisonnable
Andreï Baklitskiy, qui a parlé à quelques journalistes de l’Association des correspondants du Palais des Nations (Acanu), le rappelle. Le dialogue de Genève n’est que le début pour tenter d’avoir une compréhension générale de la situation. Le chercheur le souligne: «Il y a de très nombreuses nouvelles armes. Certaines sont couvertes par le nouveau Traité Start, d’autres pas. La Russie a accepté de soumettre ses systèmes d’armes hypersoniques Avangard aux exigences de Start.» Si l’administration Trump a apporté des changements importants et dangereux à la doctrine nucléaire américaine, celle de Joe Biden pourrait revenir à une approche plus raisonnable et affirmer le principe de non-emploi en premier de l’arme atomique. L’actuel président américain a d’emblée reconnu, à Genève, en présence de Vladimir Poutine, la nécessité de refuser toute guerre nucléaire, opérant un retour à la doctrine Reagan-Gorbatchev. «Avec Biden, il est possible de négocier. Il y a aussi un certain retour à la compétence. Le sommet d’Helsinki entre Trump et Poutine [en juillet 2018, ndlr] a été un désastre. Il n’a mené nulle part», poursuit Andreï Baklitskiy.
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Le chercheur de l’Université MGIMO met en évidence les attentes du Kremlin. Il ne peut pas y avoir un dialogue très constructif si les deux puissances ne lient pas dans les discussions les missiles offensifs et les systèmes de défense antimissile. «On ne peut pas d’un côté demander une réduction des armes nucléaires offensives et de l’autre renforcer ses systèmes de défense», analyse le spécialiste russe. A Moscou, on voit les armes nucléaires tactiques américaines stationnées dans plusieurs pays européens dont les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie comme un danger immédiat. Il s’agit avant tout de bombes à gravitation pouvant être rapidement transportées par des avions de type FA-18 ou F-35.
Du côté américain, on fait remarquer la supériorité numérique de la Russie quant au nombre d’armes tactiques. Celles-ci dépassent les 3000 et sont stationnées dans la partie européenne de la Russie. «Toute arme capable de frapper la Russie ou les Etats-Unis doit être considérée comme stratégique», insiste Andreï Baklitskiy. Pour Marc Finaud, il ne fait aucun doute que le dialogue de Genève doit aborder tout un ensemble de problématiques liées: les armes stratégiques et tactiques, déployées ou non déployées, nucléaires et conventionnelles. «Il importe de reconfigurer tous les systèmes offensifs et défensifs, ajoute-t-il. Il faut s’assurer que les armes nucléaires ne seront pas utilisées en cas d’attaques cybernétiques, chimiques ou biologiques.»
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Sera-t-il question de la Chine à Genève? Si Donald Trump souhaitait peu subtilement inclure Pékin dans les négociations sur la prolongation de Start, en vain, l’administration Biden estime qu’un dialogue stratégique avec les Chinois sera nécessaire. Mais pas dans le cadre bilatéral russo-américain. «Moscou n’a jamais été opposé à inclure la Chine dans la discussion. Mais cela ne peut pas se faire par la contrainte. Et Washington a tort de croire que Moscou fera pression sur la Chine pour que cela se passe, conclut Andreï Baklitskiy. Dans cette dynamique, la Russie pourrait aussi demander d’inclure la France et le Royaume-Uni dans la boucle.» Ce sont des puissances nucléaires reconnues membres de l’OTAN.